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pour ces aide-niais, qui ne servent que d’épouvantails. Par contre j’usais de « crins de Florence », qui sont glandes de vers-à-soie tréfilées ; légèrement bleutés, ils ont cet avantage d’être à peu près invisibles dans l’eau ; avec cela d’une résistance remarquable, à l’épreuve des truites de la douve, aussi lourdes que des saumons. Je pêchais plus volontiers dans la rivière où les truites étaient de chair plus délicate, et surtout plus farouches, c’est-à-dire : plus amusantes à attraper. Ma mère se désolait de me voir tant de goût pour un amusement qui me faisait prendre, à son avis, trop peu d’exercice. Alors je protestais contre la réputation qu’on faisait à la pêche d’être un sport d’empoté, pour lequel l’immobilité complète était de règle : cela pouvait être vrai dans les grandes rivières, ou dans les eaux dormantes et pour des poissons somnolents ; mais la truite, dans les très petits ruisseaux où je péchais, il importait de la surprendre précisément à l’endroit qu’elle hantait et dont elle ne s’écartait guère ; dès qu’elle apercevait l’appât, elle se lançait dessus goulûment ; et si elle ne le faisait point aussitôt, c’est