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j’imaginais au delà des bois ; et peut-être que je n’imaginais rien ; mais si j’avais imaginé quelque chose, j’aurais voulu pouvoir l’imaginer différent. De connaître leur dimension, leur limite, diminua pour moi leur attrait ; car je me sentais à cet âge moins de goût pour la contemplation que pour l’aventure, et prétendais trouver partout de l’inconnu.

Pourtant ma principale occupation, à La Roque, ce n’était pas l’exploration, c’était la pêche. Ô sport injustement décrié ! ceux-là seuls te dédaignent qui t’ignorent, ou que les maladroits. C’est pour avoir pris tant de goût à la pêche, que la chasse eut pour moi plus tard si peu d’attraits, qui ne demande, dans nos pays du moins, guère d’autre adresse sans doute que celle qui consiste à bien viser. Tandis que pour pêcher la truite, que d’habilité, que de ruse ! Théodomir, le neveu de notre vieux garde Bocage, m’avait appris dès mon plus jeune âge à monter une ligne et à appâter l’hameçon comme il faut ; car si la truite est le plus vorace, c’est aussi le plus méfiant des poissons. Naturellement je pêchais sans flotteur et sans plomb, plein de mépris