Page:Gide - Si le grain ne meurt, 1924.djvu/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.

lui fus présenté, elle portait une robe ouverte.

— Va vite embrasser ta cousine, me dit ma mère lorsque j’entrai dans le salon. (Je ne devais avoir guère plus de quatre ans ; cinq peut-être.) Je m’avançai. La cousine de Flaux m’attira contre elle. Mais, devant l’éclat de son épaule nue, je ne sais quel vertige me prit : au lieu de poser mes lèvres sur la joue qu’elle me tendait, fasciné par l’épaule éblouissante j’y allai d’un grand coup de dents. La cousine fit un cri de douleur ; j’en fis un d’horreur. Elle saignait. Je crachai, plein de dégoût. On m’emmena bien vite, et je crois qu’on était si stupéfait qu’on oublia de me punir.

Une photographie de ce temps, que je retrouve, me représente, blotti dans les jupes de ma mère, affublé d’une ridicule petite robe à carreaux, l’air maladif et méchant, le regard biais.


J’avais six ans quand nous quittâmes la rue de Médicis. Notre nouvel appartement, 2 rue de Tournon, au second étage, formait angle avec la rue Saint-Sulpice, sur quoi donnaient les fenêtres de la bibliothèque