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désirs. Donc, cette idée n’est pas nécessairement liée à l’échange. Robinson, certes, n’appréciait pas au même degré les objets qu’il possédait. J’avoue cependant que ses préférences restaient à l’état latent et que les conditions de sa vie isolée n’étaient guère propres à lui en donner une claire conscience. Si on lui avait demandé de les indiquer et de classer les richesses qui composaient son modeste avoir d’après le degré de désirabilité qu’il leur attribuait, il eût été sans doute embarrassé pour le faire. Tout au plus aurait-il pu les classer grossièrement en deux ou trois catégories, suivant qu’elles correspondaient à des besoins plus ou moins essentiels. Cependant on peut imaginer telle circonstance qui mit en conflit ses désirs et l’obligeât à les comparer et les mesurer. Une telle conjoncture, par exemple, s’était présentée à lui dès les premiers jours de son débarquement. Quand il avait dû retirer une à une chaque richesse du navire sur le point de sombrer, comme il ne savait pas si la mer lui laisserait le temps de les amener toutes à terre, il avait bien fallu qu’il se décidât à faire un choix et qu’il déterminât celles qu’il préférait sauver en première ligne. L’ordre dans lequel il les avait successivement débarquées indiquait parfaitement le degré de ses préférences, et par conséquent aussi les valeurs respectives qu’il leur attribuait[1].


IV

LA VALEUR D’ÉCHANGE.

Si nous ne croyons pas que l’échange crée la valeur, nous reconnaissons toutefois que dans la vie sociale, c’est presqu’uniquement l’échange qui fait surgir l’idée de la valeur

  1. Si l’on nous reproche cette Robinsonnade aujourd’hui démodée, nous ferons remarquer qu’elle est pourtant nécessaire ici, puisque nous voudrions établir que l’idée de valeur est une idée originelle qui préexiste non seulement à l’échange, mais même à l’état de société.