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1° D’abord, si la valeur d’une chose avait pour cause ou pour substance le travail consacré à la produire, cette valeur devrait être nécessairement immuable, car comme le reconnaît Bastiat lui même, le « travail passé n’est pas susceptible de plus ou de moins ». — Or, chacun sait, au contraire, que la valeur d’un objet varie constamment et sans cesse. Il est donc bien évident que ces variations sont absolument indépendantes du travail de production. A priori, d’ailleurs, il est absurde de penser que la valeur d’une chose peut ainsi dépendre d’un fait passé sans retour. C’est là une affaire finie, il n’y a plus à y revenir, et c’est le cas de dire, comme lady Macbeth : what’s done, is done ! ce qui est fait est fait, n’en parlons plus !

À ceci on peut répondre, il est vrai, qu’il ne s’agit pas du travail passé, mais du travail présent, non pas du travail spécialement consacré à produire l’objet que l’on considère, mais du travail générique nécessaire dans les conditions sociales existantes pour produire des objets similaires[1].

  1. C’est la fameuse théorie de Karl Marx qui déclare qu’il n’y a pas à s’occuper du travail individuel qui a pu être consacré à produire un objet quelconque, mais du travail social nécessaire pour la production de cet objet et qui se mesure par le nombre d’heures nécessaires en moyenne pour l’exécuter.
    Bastiat dit qu’il faut considérer non point le travail effectué par celui qui a produit l’objet, mais seulement le travail épargné à celui qui veut s’en rendre acquéreur.
    Et comme épargner à quelqu’un un certain travail, c’est, d’après Bastiat, « lui rendre service », l’auteur des Harmonies arrive par là à définir la valeur : le rapport de deux efforts échangés, et à déclarer que la valeur a pour cause et pour mesure un service rendu. Cette formule, malgré la vogue qu’elle a eue pendant un certain temps, paraît une simple tautologie. À cette question : pourquoi un diamant a-t-il une plus grande valeur qu’un caillou ? elle répond « parce que, en me cédant un diamant, on me rend un plus grand service qu’en me cédant un caillou ». Personne ne conteste une aussi puérile proposition, mais il suffit de répondre que si le service rendu par le transfert d’un diamant est plus grand que le service rendu par le transfert d’un simple caillou, c’est tout simplement parce que le diamant a plus de valeur que le caillou : nous n’avons donc fait que tourner sur place. Ce n’est pas, en effet, le service rendu par celui qui me cède un objet qui en détermine la valeur, c’est, au contraire, la valeur de l’objet cédé qui détermine et mesure l’importance du service rendu. Voy. dans la Revue d’Économie politique (mai