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Cette théorie résout fort heureusement la vieille difficulté qui était la pierre d’achoppement de l’ancienne école : pourquoi l’eau, qui est si utile, a-t-elle si peu de valeur ? et pourquoi le diamant, qui est si peu utile, a-t-il une si grande valeur ? Elle y parvient en écartant l’idée vulgaire d’utilité en tant que qualité matérielle des choses et en faisant de ce mot le synonyme de ce que nous avons appelé désirabilité. Elle affirme que l’eau généralement n’est pas utile, puisqu’on ne saurait dire qu’une chose est utile quand on en a de reste[1], et affirme, au contraire, que le diamant est utile, c’est-à-dire désirable, puisqu’on en a jamais trop ni même assez. L’explication est ingénieuse ; toutefois il faut avouer qu’elle emploie le mot d’utilité dans un sens détourné de sa significa-

    ou, ce qui revient au même, sur le besoin que nous en avons. Or, puisque la valeur des choses est fondée sur le besoin, il est naturel qu’un besoin plus senti donne aux choses une plus grande valeur et qu’un besoin moins senti leur en donne une moindre. La valeur des choses croît donc dans la rareté et diminue dans l’abondance. Elle peut même dans l’abondance diminuer au point de devenir nulle. Un surabondant sera sans valeur toutes les fois qu’on n’en pourra faire aucun usage, puisqu’alors il sera tout à fait inutile. La valeur est moins dans la chose que dans l’estime que nous en faisons, et cette estime croît et diminue comme notre besoin croît et diminue lui-même ». Puis vient l’exemple de l’eau suivant qu’elle est prise à la source ou au désert (1re  partie, ch. 1).

    Et Franklin avait dit plus simplement encore dans La science du bonhomme Richard « C’est quand le puits est à sec, qu’on connaît la valeur de l’eau ».
    Mais c’est seulement au milieu de ce siècle que cette célèbre théorie de l’utilité finale paraît avoir été formulée pour la première fois par un ingénieur des mines en France, Dupuit (1844), et par un allemand Gossen (1854). Toutefois les travaux de l’un et de l’autre étaient restés parfaitement inconnus jusqu’au jour où, il y a une vingtaine d’années, Stanley Jevons en Angleterre, Walras en Suisse, Charles Menger et Böhm-Bawerk en Autriche, Clark aux États-Unis, ont créé à nouveau cette théorie. Le fait que, sans se connaître, ces auteurs sont arrivés simultanément à peu près aux mêmes conclusions, constitue évidemment une présomption de vérité. Voir dans la Revue d’Économie Politique 1894 l’article précité de M. de Böhm-Bawerk, Essai sur la valeur.

  1. Ceci d’ailleurs n’est vrai que de l’eau potable ; car si elle doit satisfaire aux besoins de l’irrigation, ou à ceux de l’agrément ou qu’elle devienne force motrice, l’eau a parfaitement une valeur et une valeur considérable. Pourquoi ? parce que, pour de semblables emplois, elle n’est plus en quantité suffisante pour répondre aux besoins de tous les propriétaires dans ce cas, même le Seau n° 1.000 ou n° 10.000, a encore une certaine utilité finale et confère cette valeur à la masse tout entière.