car il doit servir à ma toilette ; le seau no 4, à faire boire mon cheval ; le seau no 3, à arroser mes dahlias ; le seau no 6, à laver le pavé de ma cuisine. Supposons que ce 6e seau soit le dernier et que mon puits ne pouvant en fournir davantage, je ne puisse m’en procurer d’autres : — je dis qu’en ce cas chacun des 6 seaux aura une certaine valeur, mais que cette valeur ne pourra être plus grande que celle du dernier. — Pourquoi ? parce que c’est celui-là seulement dont la privation peut me toucher. Si en effet le 1er seau, par exemple, celui qui devait servir à ma boisson, vient à être renversé par accident, vais-je crier miséricorde en disant que je suis condamné à mourir de soif ? ce serait un raisonnement de Jocrisse ; il est clair que je ne me priverai pas de boire pour cela : seulement je serai obligé de sacrifier pour le remplacer un autre seau… lequel ? Évidemment celui qui m’est le moins utile : le seau no 6. Voilà pourquoi celui-là détermine la valeur de tous les autres. Si maintenant nous supposons que mon puits soit assez abondant pour me fournir 10, 20 seaux d’eau, il est clair que nous arriverons à un seau d’eau no 19 ou no 20 dont je ne saurais que faire et dont l’utilité par conséquent sera nulle. Et du même coup, il entraînera dans sa chute la valeur de tous les autres seaux d’eau ! or tel est justement le cas qui se trouve réalisé d’ordinaire dans nos pays. Voilà pourquoi dans cette théorie, on dit que la valeur est déterminée par l’utilité finale ou utilité limite ou bien encore par l’intensité du dernier besoin satisfait[1].
- ↑ Si nous voulons résumer cette démonstration sous une forme syllogistique, nous pourrons la formuler ainsi :
« La valeur est déterminée par l’utilité subjective ;
« Par utilité subjective il faut entendre non l’utilité d’une chose en général, mais son utilité pour celui qui la possède ;
« Cette utilité n’est pas la même pour chaque unité possédée et elle décroît à mesure que le nombre d’unités possédées augmente ;
« Or c’est l’utilité de la dernière unité possédée (la moins utile, par conséquent) qui est seule à considérer, car c’est elle qui détermine et limite l’utilité de toutes les autres. »
Dans son beau livre, trop oublié aujourd’hui sur Le Commerce et le Gouvernement (1776), le philosophe Condillac avait pressenti cette explication de la valeur et, en cela, de beaucoup devancé les physiocrates ses contemporains « La valeur des choses est fondée sur leur utilité