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seule, serait impuissante a créer la valeur et resterait comme à l’état latent, mais elle entrerait en action sitôt que la rareté vient se combiner avec elle. La valeur en ce sens, c’est l’utilité rare (Walras père en France, Senior en Angleterre).

Cette modification à l’explication première permet en effet de résoudre assez bien les difficultés qui nous arrêtaient tout à l’heure. Pourtant l’idée de rareté à elle seule ne saurait suffire non plus (à moins qu’on ne fasse dire à ce mot aussi beaucoup de choses qu’il ne dit point) ; car, pour prendre un exemple connu, les cerises ne sont pas moins rares à la fin de la saison qu’au début toutefois, comme alors elles ne sont plus des primeurs, c’est-à-dire qu’elles ne sont plus désirées, elles n’ont plus guère de valeur. De plus, cette explication satisfait mal l’esprit, car elle manque d’unité et on ne s’explique pas bien le dualisme de ces deux éléments en apparence tout à fait hétérogènes l’utilité et la rareté.

Il était réservé à une école plus récente de découvrir le lien logique qui unit ces deux idées, ou plutôt de montrer qu’elles n’en font qu’une, en les réconciliant dans la théorie dite de l’utilité finale (Nous verrons tout à l’heure la signification de cette expression un peu bizarre). Elle est revenue à l’idée d’utilité seulement elle a montré que la rareté, c’est-à-dire la limitation dans la quantité, bien loin d’être une cause indépendante de l’utilité et qui viendrait se greffer artificiellement sur elle, sans qu’on sache pourquoi ni comment, est nécessairement inséparable de l’idée d’utilité que toutes les deux sont, comme disent les mathématiciens, en fonction l’une de l’autre, qu’elles ont la même racine, à savoir le fait déjà étudié que les besoins de l’homme sont limités en capacité. Et voici comment elle le démontre.

Prenons l’exemple classique de l’eau. Imaginons la quantité d’eau dont je puis disposer journellement, distribuée en 5, 6, 10, 20, etc., seaux rangés sur une étagère. Le seau n° 1 a pour moi une utilité maximum, car il doit servir à me désaltérer ; le seau n° 2 en a une grande aussi, quoique moindre, car il doit servir à mon pot-au-feu le seau n° 3, moindre,