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Malheureusement, quand on en vient à l’application, on rencontre de graves difficultés, il est en effet extrêmement difficile de déterminer exactement le revenu de chacun. Pour cela, on n’a le choix qu’entre les moyens suivants : 1° s’en remettre à la déclaration des contribuables. Ce serait le meilleur système dans un pays où le niveau moral serait, très élevé, mais comme ces pays sont rares, il est fort à craindre


    car la Société, représentée par l’État, devrait être l’héritière naturelle de tous les individus qui n’ont point disposé formellement de leurs biens. C’est en effet, grâce à la collaboration de tous, grâce à ce fonds social aidées, d’inventions, de moyens d’action et de transport, dont nous bénéficions tous, que chacun de nous a pu faire quelque chose et devenir propriétaire. Il est donc juste qu’à notre mort — mais seulement à défaut de toute autre personne à laquelle nous aurions délégué notre droit — nos biens retournent grossir ce patrimoine social d’où ils sont, dans une certaine mesure, sortis.
    Pourquoi « proportionnel » dit-on ensuite, ou plutôt dans quel sens faut-il entendre ce mot ? Les sacrifices sont-ils proportionnels quand un ouvrier qui n’a que 1.000 fr. de revenu paie 100 fr. tandis qu’un homme riche qui a 100.000 fr. de revenu paie 10.000 ? Non certainement, car le premier doit prélever les 100 fr. sur son nécessaire, tandis que le second se les prélève que sur son superflu et même son ultra-superflu. La vraie proportionnalité, sinon au point de vue arithmétique, du moins au point de vue économique, c’est celle qui fait varier non seulement le montant de l’impôt, mais le taux de l’impôt avec la fortune, qui par exemple ne demandera que 1 p. 0/0 à celui qui n’a que 1.000 fr. de revenu et 10 p. 0/0 à celui qui a 100.000 fr. de rentes. C’est là ce qu’on appelle l’impôt progressif.
    Cette thèse, très en faveur aujourd’hui dans les partis socialistes ou même radicaux, peut s’appuyer sur les théories nouvelles de la valeur et de l’utilité finale (Voy. p. 60), sur ce fait aussi que d’ordinaire les causes sociales et collectives contribuent davantage à la formation des grandes fortunes qu’à celle des petites et que par conséquent il est juste que les premières paient plus à la Société que les secondes : c’est une sorte de dette qu’elles acquittent. Nous ne verrions donc pas d’objection de principe contre l’impôt progressif, tant qu’il n’aurait d’autre but que d’établir une proportionnalité plus exacte que la simple proportionnalité arithmétique. — Mais si, ce qui est fort à craindre, il devait avoir pour but de rejeter sur les classes riches la totalité des dépenses publiques et d’en décharger complètement la classe salariée, il aurait au point de vue politique des conséquences déplorables : en effet, par suite du suffrage universel, ce sont ces classes là, en fin de compte, qui gouvernent or le premier principe de tout gouvernement c’est que celui qui gouverne doit subir la responsabilité de ses actes. Sinon, on ressuscite, en le renversant, le privilège de l’ancien régime qui exemptait d’impôt les classes gouvernantes, les nobles et le clergé (Voy. Seligman, Progressive Taxation. — Mazzola, L’imposta progressiva et pour la progressivité, le livre du professeur Denis de Belgique, l’Impôt).