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dire qu’elles constituent le meilleur des placements parce qu’elles augmentent la valeur de l’homme et sa productivité.

Nous en disons autant des riches d’ailleurs. Bien que nous ayons dit que c’est à eux qu’incombait le devoir social d’épargner, nous ne prétendons pas que l’épargne soit leur unique ni même leur principal devoir. S’ils se mettaient à épargner la totalité de leurs revenus, si par esprit de pénitence ils s’astreignaient à vivre de pain et d’eau — quoique cette extrémité eût à notre avis moins d’inconvénients qu’on ne croit généralement[1], — cependant ils négligeraient par là une des faces de leur rôle économique qui est de faire naître des besoins nouveaux, de donner l’exemple d’un luxe discret et bienfaisant, de stimuler le progrès économique en montrant jusqu’où peut aller, dans un temps donné et dans un lieu donné, l’épanouissement de la personne humaine. Remarquez d’ailleurs qu’en dehors des dépenses personnelles, il y a une quantité de dépenses d’utilité sociale pour des œuvres philanthropiques, scientifiques, artistiques, religieuses, qui ne peuvent être faites que par les riches et qui, celles-là aussi, peuvent être plus utiles que l’épargne.

Nous dirons donc, comme conclusion, que l’épargne est un luxe — si bizarre que paraisse l’accouplement de ces deux mots — qui n’est guère accessible qu’aux sociétés riches et dans ces sociétés mêmes, à ceux-là seulement qui ont le superflu, c’est-à-dire au petit nombre.

Aussi bien la statistique nous apprend que les pays qui créent des épargnes en ce monde sont assez rares, et que même chez ceux-là, l’épargne représente rarement plus de 1/10 du revenu national[2]. Et cette part, quoique modique,

  1. En ce cas, sans doute, la production des articles destinés à la consommation des classes riches cesserait, faute de demandes, mais la production des denrées nécessaires à la consommation du peuple continuerait et comme cette production servirait désormais d’unique débouché pour tous les placements des riches, elle recevrait de ce chef un puissant stimulant il est donc probable que ces denrées deviendraient plus abondantes et baisseraient de prix.
  2. C’est à cette proportion que peuvent être évaluées les épargnes annuelles de l’Angleterre et de la France : 2 à 3 milliards, sur un revenu total de 25 à 30 milliards. D’après M. Neymark (Une nouvelle évalua-