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Au contraire, sans cesse celle-ci travaille à défaire l’œuvre de ceux-ci et à vider le réservoir qu’ils travaillent à remplir. Si ce réservoir était alimenté par un courant continu, de telle façon que plus on en tirerait plus il en viendrait, l’erreur qui consiste à croire que plus on consommera de richesses et plus on en produira, pourrait s’excuser. Mais tel n’est pas le cas. Personne n’oserait prétendre que plus on cueillera de fruits et plus le verger en produira, que plus on péchera de poissons et plus la mer en nourrira, que plus on brûlera de bois et plus la forêt sera haute et touffue.

2° Que la dépense est toujours bonne, même quand elle a pour cause une destruction inutile de richesses, parce que l’argent dépensé n’est pas détruit et fait gagner quelqu’un. Que de gens qui se consolent d’un incendie, ou d’une grêle qui casse les vitres, par la raison que cela fera travailler les maçons et les vitriers !

Sans doute l’argent dépensé en ce cas n’est pas perdu, mais ce qui est véritablement perdu c’est la maison brûlée ou les vitres cassées. Ceci est un mal sans aucune compensation. Sans doute l’industrie spécialement chargée de combler ce trou pourra y trouver son compte et s’en réjouir, mais la Société s’affligera d’être obligée de recommencer un travail déjà fait et déjà perdu[1].

Du reste, pour savourer l’absurdité de ce raisonnement, il suffirait de le pousser jusqu’au bout. Il faudrait donc regretter que les choses ne s’usent pas dix fois plus vite, que les habits durent plus de huit jours, que les maisons ne soient pas démolies au moins tous les dix ans par des tremblements de terre, que la guerre ne vienne pas mettre en coupe réglée la richesse nationale, et que nous-mêmes nous ne mourrions pas plus vite, car le renouvellement des générations humaines entraîne aussi une très forte consommation de richesses.

  1. Voy. le célèbre pamphlet de Bastiat, La vitre cassée.