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CHAPITRE I

LA DÉPENSE

I

SI LA DÉPENSE FAIT ALLER LE COMMERCE.

Rien de plus souvent répété que cet adage que « la dépense fait aller le commerce ». Aussi l’opinion publique se montre-t-elle très indulgente, disons même très sympathique, à toute dépense, alors même qu’elle aurait un caractère de prodigalité marquée : nul ne se plaint qu’on casse les verres pourvu qu’on les paie.

Pas de moraliste ou d’auteur dramatique qui n’ait impitoyablement raillé l’avare, mais beaucoup ont donné le beau rôle au prodigue. A la campagne et au village, l’homme qui épargne est peu aimé de ses voisins et serait volontiers traité en ennemi public : l’homme qui dépense jouit de toutes les faveurs de la popularité. Sans doute on peut dire que le prodigue ou l’ivrogne se conduit follement en ce qui le concerne, qu’il vide sa bourse ou ruine sa santé — mais si c’est tant pis pour lui, n’est-ce pas tant mieux pour les autres, marchands, travailleurs et producteurs de toute catégorie, qui le recueilleront et en profiteront nécessairement ?

Assurément l’argent dépensé, c’est-à-dire employé à des achats, fait grand bien à celui qui le reçoit : il lui permet de continuer et de développer son industrie. Mais on a fait remarquer depuis longtemps, Bastiat surtout, que cet argent aurait été dépensé de toute façon par l’excellente raison que l’argent n’a pas d’autre emploi possible (sauf la thésaurisation, mais outre que cet emploi n’absorbe qu’une quantité insignifiante, il n’est jamais que provisoire). La dépense est un