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laisser espérer que la production marcherait d’un pas égal avec la consommation, il déclarait que la production devait toujours rester en arrière et de beaucoup. Il en concluait que l’équilibre ne pouvait être rétabli que par une sorte de mise en coupe réglée de l’espèce humaine, s’exerçant par les guerres, les épidémies, les famines, la misère, la prostitution et autres fléaux abominables, mais qui lui apparaissaient, à ce nouveau point de vue, comme de véritables lois providentielles[1].

Toutefois il espérait que dans l’avenir les hommes auraient la sagesse de prévenir l’action de ces fléaux et de les rendre inutiles, en limitant eux-mêmes par leur propre volonté l’accroissement de la population. Malthus leur conseillait à cet effet là contrainte morale, c’est-à-dire de ne se marier que lorsqu’ils auraient des ressources suffisantes pour entretenir des enfants, et, une fois mariés, de n’accroître leur famille que dans la limite de leurs ressources.

Près d’un siècle s’est écoulé depuis la publication de cette célèbre doctrine et l’expérience n’a pas jusqu’à présent justifié les prévisions pessimistes de Malthus. Nous avons vu au contraire, dans presque tous les pays, un accroissement de la richesse plus grand que l’accroissement de la population, et cela aussi bien dans des pays neufs comme les États-Unis que dans des pays vieux comme la France. Aujourd’hui au contraire la préoccupation est plutôt en sens inverse. À cette heure où les marchés sont encombrés de produits industriels et agricoles, tel point que les États élèvent des barrières de douanes pour se protéger contre ce qu’ils appellent l’inondation des produits étrangers, la question qui se pose est plutôt celle-ci trouvera-t-on des débouchés suffisants à la production ?

Cependant il ne faudrait pas non plus, comme les socia-

  1. Providentielles, non seulement parce qu’elles servaient à maintenir l’équilibre entre la production et la consommation, mais aussi parce qu’en faisant disparaître les plus faibles et les plus incapables, elles contribuaient au perfectionnement général de l’espèce. On sait que Malthus a inspiré Darwin : celui-ci le dit lui-même.