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Le mot consommation prête à certaines confusions auxquelles il faut prendre garde.

D’abord il ne faut pas confondre la consommation de la richesse avec sa destruction. Il est vrai que dans bien des cas consommation implique destruction[1] parce qu’il y a certains besoins, l’alimentation par exemple ou le chauffage, qui ne peuvent être satisfaits que par la transformation des objets propres à nous servir d’aliments ou de combustibles. Pour utiliser le pain et le vin, c’est-à-dire pour les transformer en chair et en sang, nous sommes obligés de les manger, et pour nous chauffer avec du bois nous sommes obligés de le brûler, c’est-à-dire de le réduire en cendres et en fumée.

Mais il est heureusement beaucoup d’autres besoins qui n’exigent pour leur satisfaction la destruction d’aucune richesse. La Vénus de Milo pourra procurer des jouissances esthétiques à toutes les générations humaines sans perdre un atome de sa substance, et si elle a les bras cassés, c’est évidemment un malheur qui ne rentrait nullement dans sa destination. Nous ne détruisons pas une maison pour en jouir si elle se détériore c’est la faute du temps, ce n’est point une conséquence nécessaire de l’usage que nous en faisons, et la preuve c’est qu’une maison qui n’est point habitée se détériore tout de même. Si les vêtements que nous portons se fanent, se salissent, se déchirent et sont bientôt hors d’usage, cette usure n’est point le but de la consommation, elle n’en est au contraire que l’accident fâcheux la preuve, c’est

  1. Et encore par destruction ne faut-il entendre que la destruction de la forme et non l’anéantissement de la matière, car il est bien évident que de même que l’homme par la production ne peut rien créer (Voy. p. 109) de même par la consommation il ne peut rien détruire. Le chimiste avec sa balance retrouvera toujours jusqu’au dernier atome de l’objet consommé.
    Et même dans le cas où)a consommation a pour résultat une destruction d’utilités, une sage économie trouve moyen de tirer encore parti de ces utilités mortes en faisant sortir de leurs cendres quelque utilité nouvelle avec les chiffons, elle fait du papier ; avec les détritus d’aliments ou les scories de la fonte, de l’engrais avec les résidus de la houille, toute la gamme des parfums et des couleurs. Ainsi dans une économie parfaite aucune utilité ne périrait, mais toutes seraient transformées. Et la consommation ne serait que l’histoire des métamorphoses de la richesse.