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sera réduit, toutes choses égales d’ailleurs, et réciproquement[1]. C’est ce que Ricardo exprimait par sa formule que « le taux des profits varie toujours en raison inverse du taux des salaires ». Et d’ailleurs les grèves incessantes se chargent de le démontrer. Ainsi donc, dans l’ordre économique actuel, le patron et l’ouvrier nous apparaissent comme deux personnages dressés l’un contre l’autre dans une attitude de mutuel défi, et pourtant ne pouvant se passer l’un de l’autre et comme rivés ensemble par une commune solidarité ;

Un autre résultat fâcheux du salariat que nous avons signalé, c’est ce caractère de contrat à forfait qui réduit l’ouvrier à un rôle purement passif et le dépouille de tout intérêt dans les succès comme dans les revers dé l’entreprise. On ne saurait dissuader les ouvriers de se considérer comme ayant des droits sur toutes ces richesses qui sont sorties de leurs mains : on ne saurait surtout les empêcher de voir avec amertume des générations de patrons ou d’actionnaires se succéder et s’enrichir dans telle usine ou telle mine dans laquelle, de père en fils aussi, ils ont travaillé et pourtant sont restés pauvres. Il est vrai qu’ils n’ont été que des instruments, hands, disent les Anglais. L’expression est exacte autant que cruelle, mais voilà justement le malheur de notre organisation sociale que l’homme puisse n’être qu’un instrument pour l’homme[2] !

  1. Nous disons et nous soulignons « toutes choses égales d’ailleurs », car il est bien évident que si les conditions de productivité changent, si le produit total de l’entreprise vient à doubler, par exemple, les salaires et les profits pourront doubler simultanément. Et il est même très fréquent dans des pays neufs, où la productivité est grande, de voir à la fois de hauts salaires et des profits élevés.
    Il est même très possible qu’un patron ait intérêt à employer des ouvriers plus chèrement payés, ou à élever le salaire de ceux qu’il a déjà, s’il pense que ce supplément de salaires correspond à un accroissement, de productivité suffisant pour que, tout compte fait, il y trouve un profit plus élevé. Ce qui importe à l’entrepreneur, ce n’est pas tant le débours que le résultat. Le travail d’un ouvrier anglais payé 6 francs par jour peut revenir à bien meilleur compte que le travail d’un coolie indou que l’on paie 60 centimes par jour ; il suffit, pour qu’il en soit ainsi, que le premier fasse 20 mètres de cotonnade par jour, alors que le second, n’en fera qu’un seul.
  2. Le premier précepte de la morale, tel qu’il a été formulé par Kant,