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vaudrait tout de même, semble-t-il, qu’ils fussent réunis dans les mêmes mains.

2° Que si l’on interdisait le bail à ferme, ce serait condamner à une aliénation forcée et interdire la propriété foncière à beaucoup de propriétaires qui, à raison de leur âge, ou de leur sexe, ou de leur profession, ou de leur éloignement forcé, ou de l’étendue et de la multiplicité de leurs domaines, ne peuvent les faire valoir eux-mêmes. — C’est possible, mais ce serait un bien et non un mal. Puisque ces personnes ne peuvent exercer leur fonction de propriétaire foncier, qu’elles cessent de l’être !

Si on veut sauvegarder la propriété foncière, il faut qu’elle devienne un métier, une profession, une fonction. Or, on n’afferme pas une fonction. Il faut tendre par tous les moyens économiques et même légaux (sans pourtant aller jusqu’à une prohibition légale du fermage) à réaliser un état social dans lequel la fonction de propriétaire ne sera dévolue qu’à ceux qui voudront réellement l’exercer, c’est-à-dire qui exploiteront eux-mêmes leurs terres[1].

Les lois civiles concourent à ce but lorsque, comme en France, elles facilitent la constitution de la petite propriété[2].

Ces lois vont, au contraire, à l’encontre de ce but quand, comme en France aussi, elles multiplient les conditions d’inaliénabilité pour les immeubles appartenant aux mineurs, aux femmes dotales, aux personnes morales. Elles rendent, en ce cas, le bail à ferme en quelque sorte obligatoire, puisqu’elles

  1. Il ne faut pas cependant prendre notre formule dans le sens de « la terre aux paysans ». Ce serait non moins fâcheux. Il n’est pas nécessaire que toutes les terres d’un pays se trouvent uniquement entre les mains de ceux qui poussent la charrue ou manient la pioche. S’il n’y avait eu d’autres viticulteurs dans le midi de la France que les paysans, il est probable qu’ils n’auraient pas réussi à vaincre le phylloxéra. Ils n’ont fait que suivre — et encore avec combien de résistance ! — l’initiative des grands propriétaires.
  2. Ainsi en France, il n’y a guère plus du tiers des terres, 36 p. 0/0 seulement, qui soient sous le régime du fermage, 12 p. 0/0 en métayage, et 52 p. 0/0 exploitées directement par le propriétaire lui-même. C’est une proportion très favorable il y a peu de pays (sauf les pays neufs ou colonies) dans lesquels l’exploitation par fermage se trouve si réduite.