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ou ces prébendes que le roi autrefois distribuait aux fils de famille. Les mêmes raisons qui ont paru justifier le droit de propriété semblent donc se retourner contre le fermage.

Un second grief, c’est que cette séparation entre les rôles de propriétaire et de cultivateur, qui résulte du contrat de bail, est funeste aux intérêts de la culture. Pour tirer tout le parti possible de la terre, il faut l’aimer et s’y attacher. Or, quand la terre est touée, cet amour de la terre ne peut être que très diminué, tant chez le propriétaire qui n’y réside pas et quelquefois même ne la connaît pas, que chez le fermier qui n’est qu’un hôte de passage et s’y sent étranger[1].

A cela, que répondre ?

1° Qu’il est rare qu’un propriétaire, à moins d’être absentéiste, se désintéresse absolument de sa terre ; que le fermage constitue une division du travail, tout à fait conforme à une bonne organisation de la production Le propriétaire, dit M. Leroy-Beaulieu, représente les intérêts futurs « et perpétuels du domaine, tandis que le fermier n’en représente que les intérêts actuels et passagers[2] » — On ne saurait mieux dire, mais en admettant même que le propriétaire comprenne aussi bien son rôle, néanmoins, comme les intérêts actuels eL futurs peuvent se trouver en conflit, mieux

  1. Voyez ce que dit Michelet du paysan propriétaire « A trente pas il s’arrête, se retourne et jette sur sa terre un dernier regard profond et sombre, mais pour qui sait bien voir, il est tout passionné ce regard, tout de cœur, plein de dévotion ». La terre ne sera jamais regardée de cet œil-là ni par le fermier, ni même par le propriétaire qui l’a affermée !
    Cependant le métayage ne donne pas prise tout à fait aux mêmes griefs. On reproche au métayage d’être un mode d’exploitation du soi propre aux sociétés barbares ou peu civilisées et de n’être compatible qu’avec une culture pauvre et arriérée. Mais cela dépend des cultures et des conditions du contrat qui sont très élastiques. En Toscane il peut se prêter à une culture très avancée, et il a été employé avec succès en France pour la reconstitution d’un certain nombre de vignobles du Gard et de l’Hérault. Il présente d’autre part cette double supériorité sur le fermage ;
    d’empêcher le propriétaire de se désintéresser de la culture ;
    de ne jamais mettre le fermier dans l’embarras pour le paiement, puisqu’il paie seulement en nature, avec la récolte quand il y en a.
  2. Essai sur la répartition des richesses, ch. I.