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variés, des vêtements plus compliqués, des jouets, lui deviennent nécessaires ; chaque année fait surgir quelque besoin, quelque désir nouveau. Plus nous voyons, plus nous apprenons, plus notre curiosité s’éveille, et plus aussi nos désirs grandissent et se multiplient. De même aussi, nous éprouvons aujourd’hui mille besoins de confort, d’hygiène, de propreté, d’instruction, de voyage, de correspondance, inconnus à nos aïeux, et il est certain que nos petits-fils en ressentiront davantage encore. Si nous pouvions connaître dans quelque planète un être supérieur à l’homme, nous découvririons certainement en lui une infinité de besoins dont nous ne pouvons nous faire en ce monde aucune idée. Civiliser un peuple, ce n’est rien de plus que faire naître chez lui des besoins nouveaux. Malheur aux races satisfaites à trop bon marché, qui n’étendent pas leur désir au delà du cercle étroit d’un horizon prochain et qui ne demandent qu’une poignée de fruits mûrs pour vivre et un pan de mur pour y dormir à l’abri du soleil ! Elles ne tarderont pas à disparaître d’une terre dont elles n’ont pas su tirer parti.

Il est facile de comprendre en vertu de quelle loi les besoins de l’homme tendent ainsi à se développer. C’est chez un seul homme d’abord ou dans un petit groupe d’hommes que le besoin s’éveille, timide et incertain encore, chez ceux-là seulement qui, par leur position privilégiée, peuvent déjà satisfaire amplement aux premières nécessités de la vie et tournent alors leurs désirs vers un horizon nouveau. Tout besoin est le résultat d’une idée nouvelle, disons d’une invention[1].

  1. D’ordinaire c’est précisément la proposition inverse qui est formulée. On dit que « la nécessité est la mère des inventions », ce qui veut dire que ce sont les besoins qui provoquent les inventions. Il est bien évident cependant que ce n’est pas le besoin de fumer qui a fait découvrir le tabac, ni l’alcoolisme qui a fait inventer l’alambic, ni le besoin de pédaler qui a créé la bicyclette ! Sans doute la faim, le froid, la peur, peuvent bien pousser l’homme à chercher certains moyens de se défendre, mais ce n’est qu’autant qu’il a trouvé quelque chose que le désir peut se fixer sur cet objet défini. En ce sens nous adhérons pleinement à la théorie de M. Tarde « La première cause de tout désir économique, c’est l’invention. Même quand j’ai soif d’eau pure, mon désir de la boire dans un verre, et non dans le creux de la main, est le résultat de bien des inventions » (Logique sociale, ch. VIII).