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tuait un véritable monopole, un privilège qui lui permettait d’accaparer les forces naturelles, la fécondité de la terre, monopole justifié d’ailleurs par des raisons d’utilité publique que nous examinerons plus tard. Le propriétaire pouvait exploiter lui-même cette source naturelle de richesses en vendant les produits de sa terre ; — ou en céder l’exploitation à un autre en louant sa terre à prix d’argent comme le capitaliste loue son capital : c’est le fermage.

Cette explication du revenu foncier impliquait d’ailleurs l’idée que la nature peut créer la valeur, c’est-à-dire l’adhésion à la doctrine qui fonde la valeur sur l’utilité dans le sens matériel de ce mot[1].

Une telle explication ne pouvait satisfaire l’esprit subtil de Ricardo. Nous savons que ce grand économiste est le principal auteur de la doctrine qui fonde la valeur sur le travail et le coût de production. Donc d’une part il ne pouvait admettre, sans ruiner sa doctrine, que la valeur de la terre ou de ses produits fût créée par la collaboration de la nature. D’autre part, il ne pouvait nier l’existence d’un revenu foncier indépendant des frais de production puisque ce revenu se manifestait d’une façon assez visible dans le fermage, et il lui fallait le rattacher à sa doctrine sur la valeur. C’est pour expliquer ce cas embarrassant qu’il imagina sa théorie de la rente foncière qui est la plus fameuse de l’économie politique et a servi de thème, pendant plus d’un demi-siècle, à toutes les discussions des économistes.

À l’origine, dit Ricardo, les hommes n’ayant besoin de mettre en culture qu’une petite quantité de terres, choisissent les meilleures. Cependant, malgré la fertilité de ces terres, ils ne retirent pas de leur exploitation un revenu supérieur à celui qu’ils pourraient retirer d’un emploi quelconque de leur travail et de leurs capitaux. En effet, comme il y a des terres de reste, ils sont soumis à la loi de la con-

  1. C’est évidemment ce que signifie la phrase d’Adam Smith : « Dans l’agriculture, la nature travaille conjointement avec l’homme et sa part représente souvent le tiers et jamais moins du quart du produit total ».