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Le « bien-être » de l’homme est lui-même un état très complexe. Il suppose non seulement beaucoup de conditions physiques, mais aussi beaucoup de conditions morales. Le bien-être ne consiste pas seulement à être bien nourri, bien vêtu, bien logé, bien soigné si l’on est malade, à se tenir au chaud l’hiver et au frais l’été, mais aussi, par exemple, à avoir l’esprit en repos au sujet de l’avenir.

De plus, à partir d’un certain degré de civilisation, la richesse n’est plus recherchée seulement comme fin en soi, mais comme moyen d’atteindre des fins supérieures et surtout de procurer la puissance, c’est-à-dire la supériorité sur les autres. Le sens étymologique du mot richesse est assez clair (Reich, empire). Et si certaines richesses ont été si particulièrement et si ardemment convoitées, la terre autrefois, l’argent aujourd’hui, c’est qu’à un plus haut degré que toute autre, celles-ci confèrent à celui qui en est investi, ce pouvoir, ce commandement sur les autres.

Quelques économistes pensent que ce besoin de supériorité a été et restera le plus puissant facteur de l’initiative individuelle[1]. Sans méconnaître que ce sentiment essentiellement

    fait remarquer Théophile Gautier « Aucun chien n’a eu l’idée de se mettre des boucles d’oreille, et les Papous stupides qui mangent de la glaise et des vers de terre, s’en font avec des coquillages et des baies colorées ».
    vêtement, qu’il tienne aux intempéries de l’air ou aux bienséances.
    À ces cinq besoins primordiaux, en viennent s’ajouter d’autres qui sont déjà le signe de l’état de civilisation : religion (amulettes, idoles), récréation et art (instruments de musique, de jeux, dessins, sculptures), santé (remèdes), moyens de communication (barques, chars, litières), instruction (documents écrits sur pierre, sur bronze, sur papyrus, ou les « quipos », cordes nouées des Péruviens).
    Inutile de faire remarquer que les objets destinés à satisfaire à chacun ces besoins en particulier, peu nombreux à l’origine, se multiplient prodigieusement, et qu’alors on peut commencer à établir entre eux la distinction familière à tout bon père de famille entre le nécessaire, l’utile et le superflu (Toutefois voy. ci-dessous le luxe).

  1. Cette thèse a été développée notamment par un auteur anglais, M. Mallock (L’égalité sociale), et il la précise dans la formule suivante « Tout travail productif qui dépasse la satisfaction nécessaire des besoins alimentaires est toujours motivé par le désir de l’inégalité sociale (the desire for social inequality). Nous ne voyons pas en quoi les chemins de fer, photographies, téléphones, et les besoins qui y correspondent, procèdent du désir de l’inégalité ?