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Au reste, ce qui montre que le raisonnement des canonistes n’était pas une pure casuistique, c’est que, dans tous les cas où il était établi que l’emprunteur devait réaliser un bénéfice, par exemple en faisant le commerce, et que le prêteur courait certains risques, l’intérêt devenait légitime[1].

Mais il semble que puisque les canonistes admettaient parfaitement la propriété du capital ou du moins de l’argent, ils auraient dû, en vertu du raisonnement que nous exposions dans le chapitre précédent, admettre aussi en tous cas la légitimité de l’intérêt ? Non, parce que le prêt d’argent suppose précisément l’aliénation de l’argent prêté (Voy. p, 326) et il leur semblait contradictoire que le prêteur, après avoir aliéné l’argent prêté, s’en fit payer encore un prix de location.

Aussi l’admettaient-ils quand le prêteur transférait définitivement à l’emprunteur la propriété de la somme prêtée, c’est-à-dire renonçait à toute réclamation du capital c’était le prêt sous forme de constitution de rente.

La Réforme réagit naturellement contre la doctrine canonique. Calvin se montra disposé à tolérer le prêt à intérêt sous certaines conditions. Deux grands jurisconsultes français huguenots, Dumoulin et Saumaise (celui-ci réfugié en Hollande), au XVIIe siècle, réfutèrent les arguments scolastiques contre l’usure[2]. Toutefois il faut arriver jusqu’aux écono-

  1. Le concile de Latran (1515) déficit parfaitement la situation : « Il y a usure là où il y a gain qui ne provient pas d’une chose frugifère et qui n’implique ni travail, ni dépenses, ni risques de la part du prêteur ».
  2. Il est curieux de constater que les Jésuites contribuèrent aussi bien que les réformateurs à faire admettre le prêt à intérêt dans la pratique, en inventant des combinaisons subtiles pour éluder la loi économique, par exemple le contractus trinus, contrat plus ou moins fictif par lequel le prêteur était censé s’associer aux risques et profits de l’entreprise et en même temps s’assurait contre ceux-là et renonçait à ceux-ci moyennant une somme fixe payable annuellement.
    L’intérêt était admis aussi sous forme de clause pénale pour le cas où le capital ne serait pas remboursé à l’échéance et comme rien n’empêchait de fixer cette échéance au lendemain même du prêt, si l’on voulait — on voit que de cette façon aussi la règle pouvait être assez facilement éludée.
    Pour plus de détails, voyez l’excellent livre de M. Ashley, Economic history, ch. VI, et Capital et intérêt de M. Böhm-Bawerk, Vol. I.