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disons de l’épargne, p. 164) mais au reste il est surérogatoire : le premier suffit. Pourtant la légitimité de l’appropriation capitaliste a été, en sens inverse, vivement attaquée par les socialistes, et le livre célèbre de Karl Marx[1] sur Le Capital a précisément pour but de démontrer que cette appropriation est à la fois le résultat d’une spoliation historique et le moyen de poursuivre et d’aggraver indéfiniment cette spoliation.

Pour les collectivistes, le capital au sens où l’entendent les économistes — c’est-à-dire un produit d’une nature spéciale qui serait doué de facultés reproductives — n’existe pas (Voy. ci-dessus, p. 149). Le vrai, le seul capital c’est cette part de la richesse produite par le travail des ouvriers, qui est appropriée par un individu sous le nom de profit, capitalisée par lui et employée à faire travailler d’autres ouvriers pour en retirer de nouveaux profits. Aucune grande fortune ne s’est créée autrement. Le capital, c’est bien le produit du travail, si l’on veut, mais le produit du travail d’autrui ! et par conséquent l’argument tiré du travail se retourne contre le capitaliste qui l’invoque : au lieu de servir à fonder son droit, il sert à démontrer son usurpation.

Cette argumentation consiste donc à démontrer que le profit est un vol fait au travail et que le capital n’étant que du profit accumulé, se trouve ainsi vicié dans sa source.

Mais ce raisonnement de Karl Marx met la charrue avant les bœufs. Le capital ne sort pas du profit ; c’est au contraire le profit qui sort du capital. Par conséquent, fût-il même démontré que l’emploi d’ouvriers salariés est une forme de l’esclavage et le profit qui en résulte un vol, cette démonstration laisserait intacte la légitimité de la propriété du capital. Le capital pour nous, c’est la part de richesse mise en réserve pour aider le travail, mais d’abord et avant tout le travail per-

  1. Avant lui il faut citer Rodbertus dont les écrits les plus importants remontent au milieu de ce siècle. Assez négligé pendant longtemps, on lui a fait depuis quelques années une célébrité comme précurseur des grandes doctrines collectivistes. Il n’a pas été traduit en français. Voy. comme ouvrage le plus récent sur cet auteur, Andler, Les origines du socialisme d’État en Allemagne, 1897.