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gent à s’assurer contre ces deux risques et on ne saurait demander à l’ouvrier plus de prévoyance.

Pour le chômage, les Trades-Unions anglaises ont réussi, grâce à leur puissante organisation et aux fortes cotisations qu’elles imposent à leurs membres, à obtenir d’excellents résultats, mais encore faut-il qu’il ne s’agisse que de chômages partiels et localisés[1].

Si donc l’ouvrier à lui seul est impuissant, ne faut-il pas se retourner du côté du patron ? Ne peut-on pas soutenir en droit que certains de ces risques, notamment celui des accidents et celui de la vieillesse, doivent retomber à la charge du patron, car il semble juste qu’il supporte cette responsabilité comme celle des instruments détériorés ou usés à son service ?[2] Et en effet, un certain nombre de patrons, surtout les grandes sociétés par actions, ont organisé de leur plein gré des caisses d’assurance contre les accidents et des caisses de retraite pour la vieillesse dont ils supportent les frais en totalité ou du moins en grande partie, ne faisant supporter à leurs ouvriers qu’une faible part sous forme de retenue sur leurs salaires.

  1. À l’heure où nous écrivons ces lignes (décembre 1897), la plus puissante Trade-Union anglaise, celle des mécaniciens, distribue chaque semaine 8 à 900.000 francs d’indemnités entre ses 80.000 membres en état de chômage par le fait de grève, et la grève dure depuis vingt semaines !
  2. D’après notre Code civil, le patron n’était rigoureusement responsable des accidents qu’autant que l’ouvrier prouvait qu’il y avait faute du patron. Et cette obligation de la preuve rendait le droit de l’ouvrier presque illusoire. Les statistiques sur les causes des accidents, faites en Allemagne, ont établi que sur 100 accidents, 26 sont dus à la faute de l’ouvrier, 20 à celle du patron, 4 à tous les deux, et 50 à des cas fortuits. Il est généralement admis aujourd’hui par les jurisconsultes que la situation doit être renversée, c’est-à-dire que le patron doit être tenu pour responsable des accidents, à moins qu’il ne prouve qu’il y a faute grave de l’ouvrier. Le patron doit supporter la détérioration de son personnel de même qu’il est obligé de supporter la détérioration de son matériel, l’un et l’autre rentrant dans les frais généraux de l’industrie. C’est ce qu’on appelle la théorie du risque professionnel !. Elle a cet avantage aussi d’éviter les procès par lesquels chaque partie rejette la faute sur l’autre.
    De même pour éviter toute discussion sur le montant de l’indemnité, la loi allemande fixe un tarif pour chaque accident tant pour un bras, tant pour une jambe, tant pour un œil — comme les anciennes lois barbares en cas de coups et blessures.