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Malheureusement il suffit d’énumérer ces conséquences pour démontrer à quel point une semblable théorie paraît peu justifiée par les faits. Que la productivité du travail exerce une influence sur le taux des salaires en ce sens qu’en accroissant la richesse générale du pays, elle accroît la masse à partager et par là finit nécessairement par accroître aussi la part de tous les copartageants, y compris cette des ouvriers, — qu’elle exerce aussi une influence différentielle sur le taux des salaires en ce sens que toutes les fois qu’un certain travail est plus productif, il doit être plus payé, c’est ce qu’on peut admettre sans peine ; mais cette théorie laisse dans l’ombre un des éléments les plus essentiels, l’abondance ou la rareté de la main-d’œuvre, dont l’effet est le plus souvent prépondérant. Voyez les États-Unis : la productivité du travail s’est énormément accrue depuis vingt ans : pourtant le taux du salaire y a plutôt baissé. Pourquoi ? parce que le nombre des prolétaires a considérablement augmenté tant par suite de l’immigration des travailleurs étrangers que par suite de l’appropriation des terres disponibles, et de là viennent justement les mesures législatives réclamées et obtenues non seulement contre l’immigration chinoise, mais contre l’immigration européenne.


Aujourd’hui les économistes renoncent généralement à découvrir cette fameuse formule qui résumerait la loi du salaire. Les causes qui agissent sur le taux des salaires sont trop complexes pour se laisser emprisonner dans une formule unique[1]. Et d’ailleurs aux causes purement économiques viennent s’ajouter aujourd’hui nombre d’autres causes — les unes morales, telles que l’opinion publique, la menace

  1. M. Levasseur énumère cinq causes dans l’établissement du salaire : 1° La productivité du travail ; 2° Le degré de richesse du pays ; 3° Le rapport existant entre le nombre des ouvriers et celui des emplois ; 4° Le coût de la vie ; 5° La coutume, les mœurs, les institutions (La théorie du salaire. — Journal des Économistes, janvier 1888). Les quatre premières causes correspondent évidemment à celles déjà exprimées dans les formules que nous venons d’analyser mais que l’auteur admet simultanément. Quant à la dernière, elle pourrait se traduire par un et cætera.