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travailleur n’est pas une marchandise quelconque : il est un instrument de production. Or la valeur d’un instrument de production dépend de la productivité de cet instrument. Quand un entrepreneur loue une terre, le taux du fermage qu’il paie n’est-il pas calculé uniquement d’après la productivité de cette terre ? pourquoi, quand il loue le travail, le taux du salaire ne serait-il pas en raison de la productivité de ce travail ?

Elle ne prétend pas sans doute que le salaire est égal à la valeur intégrale produite par l’entreprise — ce serait impossible, puisqu’en ce cas le patron ne gagnant rien ne ferait plus travailler — mais elle prétend que l’ouvrier touche sous forme de salaire tout ce qui reste sur le produit total, déduction faite des parts afférentes aux autres collaborateurs (intérêt, profit, rente) et qui seraient strictement définies tandis que la sienne aurait l’avantage d’être indéfinie[1]. Le salarié serait en quelque sorte, vis-à-vis de ses copartageants, dans la même situation que le légataire universel vis-à-vis des légataires à titre particulier.

Si cette théorie était fondée, elle serait aussi encourageante que les précédentes étaient désespérantes. Si en effet le taux des salaires dépend seulement de la productivité du travail de l’ouvrier, le sort de celui-ci est entre ses mains. Plus il produira, plus il gagnera tout ce qui est de nature à accroître et à perfectionner son activité productrice, développement physique, vertus morales, instruction professionnelle, inventions et machines, doit accroître infailliblement son salaire.

Il faut remarquer même que, dans cette théorie, le contrat de salaire serait plus avantageux pour le salarié que le contrat d’association ou la participation aux bénéfices, car c’est l’ouvrier qui profiterait seul de tout l’accroissement dans la productivité du travail ! Les autres collaborateurs ne toucheraient qu’une part fixe et plutôt décroissante.

  1. C’est ce que dit en propres termes Stanley Jevons « Le salaire du travailleur finit toujours par coïncider avec le produit de son travail, déduction faite de la rente, des impôts et de l’intérêt ».