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l’esclavage, il y a eu des hommes pauvres, mais libres, qui louaient leur bras à un riche en échange d’un certain prix en argent ou en nature et qui par conséquent rentraient à peu près dans la définition du salarié[1]. Mais c’était l’exception. Il ne pouvait guère y avoir de place pour eux dans cette longue période que nous avons appelée « l’économie de famille » (p. 151) où le maître de la maison se procurait par le travail de ses serviteurs, de ses esclaves, de ses serfs, tout ce qui lui était nécessaire. Il semble que ces travailleurs libres étaient plutôt ce que nous appelons aujourd’hui des artisans, c’est-à-dire des producteurs autonomes, vivant de quelque métier et qui, à certains moments, étaient loués comme surnuméraires quand le personnel esclave ou domestique ne suffisait pas[2].

Il n’y avait guère plus de place pour le salarié proprement dit sous le second régime, celui de l’industrie corporative. Sans doute « les compagnons » étaient payés par le maître, mais ils n’étaient point vis-à-vis de lui dans les rapports de salariés à patron. L’étymologie même du mot compagnon, (cum pane) commensal, dit assez quel genre de rapports existaient entre eux, du moins à l’origine. Et ce n’étaient pas seulement des rapports de vie commune et d’aide mutuelle, c’étaient aussi des liens d’obligations réciproques. Les compagnons ne pouvaient ni être congédiés au gré du patron ni s’en aller à leur fantaisie : leurs salaires et leur travail étaient régies par les statuts des corporations. Tous avaient d’ailleurs l’espoir de s’établir comme maîtres un jour et pour beaucoup il se réalisait.

En un mot, le salariat et la maîtrise ne représentaient point deux classes sociales opposées, mais deux étapes successives de l’existence professionnelle.

  1. Primitivement salarium désignait la paye donnée au soldat pour se procurer du sel.
  2. Souvent aussi le maître louait ses esclaves à d’autres personnes moyennant un certain prix qu’on peut bien appeler un salaire, mais qui diffère du tout au tout du salaire actuel, puisque c’était le maître et non l’esclave qui le touchait.