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beaucoup de soin, voici à quels chiffres incroyables on arrive. En 1890, sur une population de 24.062.000 personnes, on n’en comptait que 194.248 jouissant d’un revenu de plus de 3.000 marcs (3.750 francs) et 3.506 seulement jouissant d’un revenu de plus de 36.000 marcs (45.000 francs) à peu près ce que nous appelons des « millionnaires ». Si l’on tient compte de la proportion des contribuables à l’ensemble de la population, cela représente une famille sur 54 pour la première catégorie et 1 sur 2.930 pour la seconde catégorie.

Admettons qu’il y ait des dissimulations pour échapper à l’impôt. Admettons que la Prusse ne soit pas un pays de grandes fortunes. Mais en France, les économistes n’évaluent pas à beaucoup plus de 20.000, au plus 36.000, le nombre des millionnaires[1].

Eh bien, dira-t-on, qu’importe ? Ceci ne fait que simplifier le problème, car moins il y aura de riches et plus il sera facile de les exproprier ! Au jour d’une révolution sociale, ils ne pèseront pas lourd s’ils ne sont pour se défendre que 1 contre 3.000 ou même contre 1.000.

Sans doute : rien de plus aisé que de supprimer ces riches. Mais on ne réfléchit point que s’ils sont peu nombreux, leurs fortunes auront beau être grandes, cela n’augmentera que dans une proportion dérisoire le revenu de l’immense majorité, de même que si l’on pouvait répartir uniformément sur toute la superficie du territoire français la masse de ses montagnes, le Mont-Blanc compris, on n’exhausserait que de quelques pieds la surface du sol. On a souvent comparé la Société, au point de vue du nombre relatif des riches et des pauvres, à une pyramide dont la pointe est représentée par les plus riches et la base par les plus pauvres[2].

  1. En 1884, on comptait à Paris, 738.981 logements. Sur ce nombre on ne comptait que 6.672 loyers de plus de 6.000 francs : il est vrai que l’évaluation officielle est inférieure d’un quart environ à la valeur réelle. Néanmoins comme une famille riche à Paris ne peut guère mettre moins de 6 à 8.000 francs à son loyer, on voit combien, même dans cette ville où les riches de toute la France et même du monde entier se donnent rendez-vous, ils sont encore en petit nombre.
  2. M. Vilfredo Pareto (Cours d’Économie Politique) par de nombreux