Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/415

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à-dire avoir à sa disposition des matériaux et des instruments : or en cas de chômage, les deux choses font défaut.

En présence de ces trois catégories d’indigents, que doit faire la Société ? — Elle ne peut échapper à la nécessité de s’en occuper.

Elle doit s’occuper de la première par humanité et par esprit de solidarité. Sans doute c’est la famille qui, dans l’ordre naturel des choses, doit soutenir ceux de ses membres qui sont dans l’impossibilité de se suffire à eux-mêmes : mais la famille, dans le temps où nous vivons, est souvent dispersée ; quelquefois, par exemple pour les enfants naturels, elle n’existe pas : d’autrefois, il faut arracher les enfants à des parents qui les exploitent et les pervertissent[1]. Et que de fois il faudrait pouvoir enlever aussi les vieillards et les infirmes à des enfants qui les maltraitent ! Si une société civilisée doit laisser mourir de faim ses enfants et ses vieillards, mieux vaudrait retourner à l’état sauvage où on les étrangle, il est vrai, mais sans les faire longtemps souffrir. La détresse des vieillards indigents en France est une honte pour notre pays.

Elle doit s’occuper de la seconde, bien que celle-ci soit fort peu intéressante, parce qu’elle crée un danger public. C’est dans cette population de vagabonds et de mendiants que se recrute l’armée du crime. Et comme la Société, une fois qu’ils auront commis quelque délit, sera bien obligée de les garder et de les nourrir en prison, et que rien n’est plus coûteux que l’entretien d’un prisonnier[2], il est plus prudent et plus économique à la fois de s’en occuper préventivement.

Elle doit s’occuper de la troisième, parce qu’elle est dans une certaine mesure responsable de leur infortune. C’est la constitution économique de la Société qui a déterminé cette séparation contre nature entre le travailleur et l’instrument de son travail, et l’a mis par là dans la nécessité de demander de l’ouvrage pour pouvoir vivre. C’est la loi même du progrès

  1. C’est à cette fin que la loi du 24 juillet 1889 a permis de faire prononcer par les tribunaux la déchéance paternelle.
  2. Dans les nouvelles prisons modèles qu’on construit aujourd’hui, la cellule d’un prisonnier revient à 6.000 fr. ! le prix d’une jolie maison ouvrière.