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VII

DU DROIT À L’OISIVETÉ.


Dans toutes les sociétés, sauvages ou civilisées — et plus encore, quoi qu’on en dise, dans les premières que dans les secondes — on trouve une catégorie de gens, en minorité naturellement, qui ne font rien. Quoiqu’ils ne travaillent pas, cela ne les empêche pas de vivre et même de bien vivre. D’ordinaire c’est dans cette classe que se trouvent les plus gros revenus. Et non seulement ces revenus sont souvent plus gros que ceux qui viennent du travail, mais ils ont surtout cette supériorité d’être plus réguliers : qu’il neige ou qu’il vente, que le rentier soit bien portant ou confiné dans son lit par la maladie, qu’il soit jeune ou invalide, qu’il reste chez lui ou qu’il coure le monde comme un globe-trotter, toujours son revenu court après lui et ne lui fait jamais défaut : c’est ce qu’on appelle « avoir des rentes ». Ainsi le fait d’avoir des rentes assure deux biens autrement précieux que toutes les jouissances que la fortune sous d’autres formes peut procurer : la sécurité et l’indépendance. Voilà assurément une situation bien privilégiée et il est permis de demander à ces heureux mortels quel dieu leur a fait ces loisirs : Deus vobis hœc otia fecit ?

Pour donner une réponse complète, il faudrait avoir étudié l’origine des diverses catégories de revenus, particulièrement l’intérêt et la rente foncière, mais en somme toutes ces explications, que nous examinerons plus loin, peuvent se ramener à celle-ci : le rentier vit sur le produit d’un travail passé.

Cela saute aux yeux, par exemple, pour le fonctionnaire de l’État qui touche sa pension de retraite et pour quiconque a économisé pour ses vieux jours. Personne n’a rien à objecter à cela. L’homme ne peut être condamné aux travaux forcés à perpétuité : quand il a travaillé pendant la période