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ou leurs capacité fussent 50.000 fois plus grandes que celles de la moyenne de leurs contemporains.

Ces inégalités ont aussi dans beaucoup de pays un caractère permanent, car si ces milliardaires américains peuvent se dire encore dans une certaine mesure « les fils de leurs œuvres », il n’en est pas de même, par exemple, des lords anglais qui, au nombre de quelques centaines, détiennent et se transmettent de père en fils la moitié environ du sol de l’Angleterre. Et c’est la loi elle-même qui, par certaines institutions, telles que les substitutions, empêche ces lords de se ruiner, quelles que puissent être les folies qu’ils fassent pour cela, et les maintient, au besoin même malgré eux, à ce haut rang d’où ils ne doivent pas descendre et où les autres ne peuvent pas monter[1].

Enfin ce qui choque le plus dans ces inégalités, c’est qu’on n’en aperçoit point les raisons : elles ne paraissent guère correspondre aux œuvres ni aux services rendus. Elles ne paraissent nullement proportionnelles à la peine prise, puisqu’il semble au contraire, suivant la remarque amère de Stuart Mill, que l’échelle de la rémunération va en descendant, au fur et à mesure que le travail devient plus pénible, jusqu’à ce degré où le travail le plus dur suffit à peine aux nécessités de l’existence. Encore moins paraissent-elles proportionnelles aux mérites ou aux vertus des hommes ! L’antithèse entre l’honnête homme pauvre et le méchant heureux et riche est un lieu commun aussi vieux que Job mais toujours de saison.

C’est donc une préoccupation légitime non de vouloir supprimer les inégalités entre les hommes, mais de chercher à les ramener aux conditions que nous avons indiquées.

  1. On compte, il est vrai, dans les Îles Britanniques environ 1.200.000 propriétaires, mais l’immense majorité, les trois quarts au moins, ne sont propriétaires que d’une superficie insignifiante (moins d’un acre, c’est-à-dire au-dessous de 40 ares — un petit cottage avec un jardin). Si l’on veut se faire une idée plus exacte de la répartition de la propriété dans les Îles Britanniques, il faut se dire que la moitié de l’Angleterre et du pays de Galles est possédée par 4.500 personnes, la moitié de l’Irlande par 744 personnes, et la moitié de l’Écosse par 70 personnes seulement !