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Par le prêt, le fermage, le loyer, il va créer une division des classes menaçante pour la paix sociale, celle des créanciers et des débiteurs, et inaugurer une façon nouvelle de vivre sans travailler, vivre de ses rentes.

Par le faire-valoir, il va créer une autre division de la société en deux classes, celle des salariés qui travailleront pour le compte d’autrui et celle des patrons qui prélèveront, en apparence du moins, les fruits de leur travail, et il va ainsi sournoisement préparer la lutte entre le travail et le capital.

Par la vente enfin, la propriété sur le produit va se transformer en propriété sur la valeur de ce produit : du même coup elle va subir toutes les oscillations de l’offre et de la demande, toutes les chances heureuses ou malheureuses, tous les jeux de la fortune et du hasard, et revêtir cette forme instable, aléatoire, qui caractérise la richesse dans les sociétés modernes.

Parmi ces conséquences, il en est trois qui paraissent particulièrement choquantes au point de vue de la justice : la première, c’est l’extrême inégalité des fortunes ; — la seconde, c’est le privilège de l’oisiveté, conséquence de l’hérédité et de la rente ; — et la dernière, c’est le paupérisme. Examinons-les successivement.



VI

DE L’INÉGALITÉ DES RICHESSES.


L’inégalité des richesses a de tout temps suscité des plaintes amères. Mais on peut dire que cette inégalité est devenue chaque jour plus insupportable aux hommes, au fur et à mesure que toutes les autres inégalités qui les distinguaient tombaient l’une après l’autre. Nos lois ont réalisé l’égalité civile : le suffrage universel a conféré l’égalité politique : la diffusion croissante de l’instruction tend même à faire régner une sorte d’égalité intellectuelle : — mais l’inégalité des richesses demeure, et