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avec toute vie sociale. Même chez les sauvages qui vivent de chasse ou de pêche, il n'est jamais absolument réalisé. Et dans nos sociétés quelle singulière répartition, si l’on disait au boulanger ou au cordonnier : vous avez produit tant de pains ou de paires de chaussures, c’est bien : gardez-les : ce sera votre part !

Stanley Jevons compare l’opération productive, dans laquelle viennent se combiner tous les éléments de la production, à la cuisine des trois sorcières de Macbeth qui jettent et agitent dans leur chaudron les substances les plus hétérogènes pour composer leur infernale mixture. Par quelle analyse subtile arriverions-nous à reconnaître dans cette combinaison la part que chacun y a versée ? Dans toute société civilisée nous voyons chaque individu jeter sans cesse dans le torrent de la circulation, par la vente de ses marchandises ou le louage de ses services, toutes les valeurs qu’il a pu produire et sans cesse aussi en retirer, sous forme de revenus divers, d’autres valeurs. Toute la question de la répartition, c’est de savoir si chacun retire de la masse une somme de valeurs équivalente à celle qu’il y a mise ?

Les économistes répondent affirmativement. Ils affirment que dans une société où la liberté du travail et la liberté des conventions seraient absolument réalisées — ce qui n’est pas d’ailleurs le cas dans nos sociétés modernes, par suite du protectionnisme, des monopoles légaux, des règlements de toute espèce — et toute part faite aux accidents et aux imprévus inséparables des choses humaines, chacun retirerait le juste équivalent des valeurs qu’il aurait créées.

Voici en fait comment les choses se passent. Chacun de nous offre sur le marché ce qu’il possède : — le propriétaire, les récoltes de sa terre, — le fabricant, les produits de son usine[1], — et celui qui ne possède ni terre ni capital, offre ses bras ou son intelligence. Ces produits ou ces services se vendent au prix fixé sur le marché par la loi de l’offre et de

  1. Inutile de faire remarquer que ces mots : sa terre, son usine, impliquent déjà l’existence de la propriété individuelle qui a pourtant besoin d’être elle-même justifiée, comme nous le verrons plus loin.