Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/341

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

simplement la possibilité de me procurer un autre capital en remplacement de celui dont je me suis dessaisi. Il est évident d’ailleurs que quel que soit l’emploi que je veuille faire de cette valeur que j’ai en portefeuille, que je veuille la consacrer à mes dépenses ou à la production, je ne pourrai le faire qu’en convertissant cette valeur en objets de consommation ou en instruments de production déjà existants sur le marché. C’est avec ces richesses en nature que je produirai ou que je vivrai, non avec ces chiffons de papier[1].

Mais si le crédit ne peut être qualifié de productif, en ce sens qu’il ne crée pas les capitaux, il rend cependant d’éminents services à la production[2] en permettant d’utiliser le mieux possible les capitaux existants.

En effet, si les capitaux ne pouvaient pas passer d’une personne à une autre et si chacun en était réduit à faire valoir par lui-même ceux qu’il possède, une masse énorme de capitaux resterait sans emploi. Il y a, dans toute société civi-

  1. M. Macleod s’est fait une notoriété spéciale comme avocat de cette thèse que les titres de crédit constituent des richesses réelles, de véritables capitaux. Il est logique d’ailleurs dans ses conclusions, car il définit la richesse « tout ce qui a une valeur échangeable » ; or, comme les titres de crédit ont incontestablement une valeur échangeable, ils doivent figurer parmi les richesses. Mais c’est la définition qui est inadmissible : si tout titre de crédit, c’est-à-dire si toute créance, constituait véritablement une richesse, il suffirait que chaque Français prêtât sa fortune à son voisin pour doubler du coup la fortune de la France et pour l’élever de 200 milliards à 400 milliards.
    M. Macleod insiste en disant que ces titres représentent du moins des richesses futures. Parfaitement ! c’est ce que nous avons dit aussi, mais c’est précisément parce qu’elles sont futures qu’on ne doit pas les compter. On les comptera le jour où elles auront pris naissance. Jusque-là, entre les richesses présentes et les richesses futures, il y aura toujours cette différence notable que les premières existent, tandis que les secondes n’existent pas. On produit et on vit avec des richesses existantes : on ne saurait vivre ni produire avec des richesses en espérance. Autant vaudrait, en faisant le recensement de la population de la France, compter, à titre de membres futurs de la société, tous ceux qui naîtront d’ici à vingt ans !
  2. À « la production », disons-nous, car le crédit « à la consommation » ne produit d’ordinaire que des effets funestes. On peut toutefois lui reconnaître quelques petits services : 1° de nous aider à passer les moments difficiles en attendant un retour de fortune ; 2° de simplifier les comptes pour éviter des paiements multipliés (par exemple l’achat du pain quotidien chez le boulanger, etc.).