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tuer la science économique, et si d’autres doctrines doivent la remplacer un jour, elle restera le fondement sur lequel celles-ci auront bâti.

Le plus grave reproche qu’on puisse faire à cette doctrine, c’est une tendance très marquée à l’optimisme, tendance qui parait inspirée beaucoup moins par un esprit vraiment scientifique que par le parti pris de justifier l’ordre de choses existant. Sans doute quand on considère l’organisation économique d’une société et les institutions qui en sont le fondement, on est autorisé à conclure qu’elles sont bonnes par certains côtés, puisqu’elles démontrent suffisamment, par le fait même de leur existence et de leur durée, une valeur au moins relative : on est même autorisé à conclure qu’elles sont naturelles, en ce sens qu’elles sont évidemment déterminées par la série des états antérieurs qui leur ont donne naissance ; mais on n’est nullement autorisé à conclure qu’elles sont les meilleures possibles. Cette conclusion est tout à fait irrationnelle[1].

L’idée que l’ordre économique existant est le produit spontané de la liberté — et qu’il ne pourrait être remplacé que par un ordre fondé sur la contrainte et par conséquent pire — ne parait pas plus exacte. Cet ordre est, pour une part au moins, le résultat, soit de faits de guerre et de conquête brutale (par exemple, l’appropriation du sol de l’Angleterre et de l’Irlande par un petit nombre de landlords a pour origine historique la conquête, l’usurpation ou la confiscation), soit de lois positives édictées par certaines classes de la société à leur profit (lois successorales, lois fiscales, etc.). Si donc le monde était à refaire et s’il pouvait être refait dans des con-

  1. Auguste Comte avait déjà protesté, au nom de la science, contre « cette tendance systématique à l’optimisme, dont l’origine est évidemment théologique » (Cours de philosophie positive, XLVIIIe leçon). Mais cette doctrine n’a même pas pour excuse, comme le suppose Auguste Comte, d’être conforme à la théologie ! car la théologie chrétienne n’est rien moins qu’optimiste : elle considère, au contraire, l’ordre de choses actuel et toutes les manifestations de la liberté humaine comme irrémédiablement viciés par la chute du premier homme.