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tion économique qu’on peut faire dater du XIIIe siècle. Voici comment il faut la comprendre[1].

Au début, la créance n’est pas conçue en tant que richesse, car elle ne porte pas sur un objet matériel, sur une richesse quelconque c’est un lien purement personnel entre le créancier et le débiteur. Suivant la forte expression des glossateurs, l’obligation adhère au corps du débiteur, ossibut hæret. Et si le débiteur ne rembourse pas, le créancier ne peut se payer sur ses biens ; il n’a point d’objet à saisir, sinon le corps même du débiteur, et voilà pourquoi il peut l’emprisonner ou même le couper en morceaux, in partes secanto, dit la Loi des XII Tables ! L’idée de créances transmissibles, dans ces conditions, ne peut même pas venir à la pensée.

Mais bientôt ― et les jurisconsultes Romains ont fait ce grand pas ― les créances sont considérées comme des richesses (bona), et même on arrive par d’ingénieux détours à les rendre transmissibles (par la novatio et liticontestatio)[2]. Cependant cette transmission est pénible et compliquée ― bien plus que celle des biens matériels ― et encore aujour-

  1. M. Bruno Hildebrand classe même l’évolution économique en trois périodes : 1° l’économie naturelle caractérisée par l’absence de l’échange, c’est-à-dire par la consommation des produits par le producteur lui-même, ou tout au plus par l’échange en nature — ; 2° l’économie argent caractérisée par la vente et l’achat — ; 3° l’économie crédit caractérisée par le prêt et la vente à terme et qui, à notre avis, n’est pas encore arrivée à son apogée, puisque nous pensons qu’elle pourra un jour rendre complètement inutile l’emploi de la monnaie (Voy. ci-dessus p. 282). Toutefois cette classification a été critiquée par M. Kovalewsky dans la Revue le Devenir social, 1896).
  2. Voir Paul Gide, La Novation.
    Le crédit a subi aussi simultanément une autre évolution que nous ne pouvons qu’indiquer ici parce qu’elle rentre dans la science du droit. Il a perdu le caractère exclusivement personnel qu’il avait à l’origine et s’est dénaturé en quelque sorte en devenant réel, c’est-à-dire en prenant pour objet et pour gage soit tel ou tel bien déterminé (hypothèque), soit du moins l’ensemble des biens du débiteur.
    Toutefois par un effet, curieux de ces évolutions en spirale dont nous avons cité plusieurs exemples (Voy. p. 280), on tend à revenir aujourd’hui au crédit personnel, c’est-à-dire reposant uniquement sur la foi, ce qui est bien la vraie et haute signification du crédit : ― par exemple dans les comptes-courant des Banques, dans les sociétés coopératives de crédit, etc. (Voyez ci-après).