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travail ; elle se plaît à considérer le monde comme un immense atelier où chaque peuple ne fera qu’une seule chose, celle qu’il est prédéterminé à faire le mieux, et où par conséquent se trouvera réalisée la meilleure utilisation possible des forces productives de notre planète et de l’humanité. La France ne fera que des vins fins, des chapeaux et des objets d’art, l’Angleterre des machines et des cotonnades, la Chine du thé, l’Australie de la laine, la Russie du blé, la Suisse des fromages ou des horloges et la Grèce des raisins secs !

Mais ici encore l’intérêt national est absolument sacrifié à un prétendu intérêt général qui n’est qu’une abstraction. Un semblable idéal, en admettant qu’il pût être réalisé, entraînerait la dégradation de tous les pays et, par voie de conséquence, du genre humain lui-même qui n’a pas d’existence propre en dehors des nations qui le constituent. Si, en effet, il a été reconnu que, même pour les individus, la spécialisation dans un même travail est funeste à leur développement physique, intellectuel et moral, que dire pour un peuple ! Un pays où tous les hommes feraient le même métier, ne serait plus qu’une masse amorphe, quelque chose de monstrueux, sans idées et sans vie. La biologie nous enseigne que le développement d’un être organisé et son rang sur l’échelle de la vie sont en raison de la variété et de la multiplicité de ses fonctions et de la différentiation des organes qui y pourvoient. Il en est exactement d’un peuple : s’il veut s’élever à une vie intense et riche, il doit s’efforcer de multiplier chez lui toutes les formes d’activité sociale, toutes les énergies, et veiller par conséquent à ce que la concurrence étrangère ne vienne pas les détruire l’une après l’autre.

3° L’importation des produits étrangers, quand elle n’a pas comme contre-partie une exportation correspondante, risque de ruiner le pays, d’abord en lui enlevant son numéraire et subsidiairement en le réduisant à la condition du débiteur. Le pays importateur paie avec son argent tant qu’il en a, et quand il n’en a plus, il en emprunte, le plus souvent au pays même qui lui vend : alors sa situation ne fait qu’empirer, parce que désormais au solde débiteur résultant déjà des im-