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européenne n’étaient guère propres à préparer l’avènement du libre-échange.

En Angleterre, au contraire, les idées d’Adam Smith avaient mûri. En 1838 Cobden commença, à Manchester, la mémorable campagne qui devait renverser le système protecteur. Il choisit très habilement le terrain en portant l’attaque uniquement contre les droits protecteurs sur les blés[1]. C’était en effet un spectacle particulièrement odieux que de voir les lords d’Angleterre, propriétaires par droit de conquête de presque toute la terre du royaume, repousser le blé étranger pour vendre plus cher le leur, et profiter des besoins croissants de la population pour toucher des rentes de plus en plus élevées ! La Chambre des Lords se trouvait donc en mauvaise posture pour résister au mouvement d’indignation déchaîné par la Ligue et en 1846, à la suite de la conversion éclatante du ministre sir Robert Peel, elle fut obligée de céder. Les droits sur les blés une fois abolis, tout le reste de l’édifice protectionniste (y compris le fameux « Act de Navigation » de Cromwell auquel on attribuait la grandeur maritime de l’Angleterre) croula.

En France une ligue fondée par Bastiat à l’exemple de la ligue anglaise, en 1846, échoua, les conditions sociales étant bien différentes. Mais l’empereur Napoléon III, dont la politique fut fondée sur l’alliance avec l’Angleterre et dont les instincts étaient assez démocratiques, profita du pouvoir qu’il s’était réservé par la Constitution pour signer avec le gouvernement anglais, et sans consulter la Chambre, un traité de commerce[2]. Ce traité fameux de 1860, que la France subit d’assez mauvaise grâce, eut un retentissement prodigieux en Europe et fut immédiatement suivi de la conclusion de traités analogues entre toutes les puissances européennes, en sorte

  1. Voy. dans les Œuvres de Bastiat le volume Cobden et la Ligue avec les admirables discours qui y sont reproduits, et dans la Revue d’Économie politique de 1893 l’article de M. L. Brentano L’abolition des droits sur les céréales en Angleterre.
  2. Cobden pour l’Angleterre et Michel Chevalier pour la France en furent les rédacteurs.