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la monnaie d’argent, provoquée par sa démonétisation dans quelques pays seulement, l’a prouvé surabondamment. Toutefois, même dans cette hypothèse, les métaux précieux conserveraient encore une certaine utilité, puisqu’ils pourraient être affectés à des usages industriels ; et comme ces emplois industriels deviendraient d’autant plus importants et d’autant plus nombreux que la valeur du métal baisserait, il est possible que cette baisse de valeur ne fût pas aussi grande qu’on le pense. Mettons qu’elle fût des deux tiers ou des trois quarts de la valeur actuelle. Encore resterait-il, entre les mains du porteur de pièces de monnaie, une certaine valeur que la loi n’aurait pu lui ravir, probablement même une valeur supérieure à celle de n’importe quelle autre marchandise qu’on aurait pu choisir comme monnaie légale.

2° La valeur de la monnaie de papier est plus resserrée, car comme elle est conférée par la loi, elle ne peut s’étendre en dehors des limites du territoire que cette loi régit[1]. Elle

    probablement davantage sitôt que cette loi ou cette adhésion viendrait à disparaître. C’est ce qu’Aristote du reste avait vu très clairement : « Par l’effet d’une convention volontaire, dit-il, la monnaie est devenue l’instrument d’échange. On l’appelle νόμισμα de νόμος, loi, parce que la monnaie n’existe pas de par la nature : elle n’existe que de par la loi et il « dépend de nous de la changer et de la priver de son utilité, si nous le voulons ». (Morale à Nicomaque, livre V).
    Mais il ne faudrait pas tirer de ce fait cette conclusion, comme l’ont fait en sens inverse d’autres économistes et Cernuschi notamment, que la valeur des métaux précieux est purement conventionnelle. Pour qu’un objet quelconque ait une utilité et une valeur reconnues, il faut en tous cas que la volonté et le choix des hommes interviennent, mais si cette volonté et ce choix sont déterminés par des causes naturelles, la valeur qui en résultera sera elle-même naturelle et nullement conventionnelle. Or le choix des hommes, en se portant sur les métaux précieux, n’a rien eu d’arbitraire, car il a été dicté par les qualités très réelles que possèdent ces métaux et que nous avons indiquées. Le blé lui-même doit sa valeur au fait que la plupart des hommes civilisés ont adopté cette céréale entre tant d’autres pour leur alimentation, et si jamais ils la remplacent par une autre nul doute que sa valeur ne soit anéantie personne ne songera pourtant à dire que la valeur du blé est conventionnelle. Il en est de même des métaux précieux. La seule différence, c’est qu’il est plus aisé de remplacer les métaux précieux comme monnaie que de remplacer le blé comme aliment.

  1. Sans doute un billet de la Banque de France peut être accepté à l’étranger par un changeur ou par quiconque connaît la Banque de France et