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commodaient assez aisément. La Russie et les républiques de l’Amérique du Sud sont à ce régime depuis plusieurs générations. Pourquoi pas en effet ? Si par la volonté de la loi et par le consentement général — qui doit toujours ratifier dans une certaine mesure les déclarations du législateur — ces morceaux de papier blancs ou bleus sont investis de la propriété de servir à payer nos achats, nos dettes, nos impôts, pourquoi ne circuleraient-ils pas tout aussi bien que les pièces blanches ou jaunes ? Celles-ci ne nous servent pas à autre chose.

Cependant il faut avouer qu’entre la valeur de la monnaie métallique et celle de la monnaie de papier, il y aura toujours de graves différences. Celle-ci sera toujours plus précaire, plus resserrée, plus variable :

1° La valeur du papier est précaire, car elle repose uniquement sur la volonté du législateur, et la même loi qui l’a créée peut aussi l’anéantir. Si la loi démonétise le papier-monnaie, il ne restera rien entre les mains du porteur qu’un chiffon sans valeur ; quand il a perdu sa valeur légale, il a tout perdu. Il n’en est pas tout à fait de même de la monnaie métallique. En dehors de sa valeur légale, elle a aussi une valeur naturelle qu’elle doit aux propriétés physiques et chimiques du métal dont elle est composée. Sans doute, si l’or et l’argent étaient démonétisés par tout pays[1], la monnaie métallique perdrait la plus grande partie de sa valeur : il n’y a pas d’illusion se faire à cet égard[2] et la baisse de

  1. Par tout pays, disons-nous, car s’il n’est démonétise que dans un seul, cela ne diminuera pas sensiblement sa valeur. Et voilà justement ce qui constitue pour le porteur de numéraire la plus grande sécurité !
  2. C’est cependant une illusion que se font beaucoup d’économistes ou du moins contre laquelle ils ne mettent pas assez en garde leurs lecteurs. La plupart semblent dire que le sceau de l’État imprimé sur les pièces d’or et d’argent ne fait que constater leur valeur réelle, comme ces étiquettes que les marchands piquent sur leurs marchandises. Mais la déclaration que la pièce d’or de six grammes vaut 20 francs n’est pas seulement déclarative, elle est en partie attributive de valeur. C’est parce que la volonté du législateur, ratifiée, si l’on veut, par la volonté des hommes, a choisi l’or et l’argent comme monnaie, que ces métaux ont acquis la plus grande partie de leur valeur, et ils en perdraient au moins la moitié et