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près et à l’égard desquels nous sommes non pas simplement spectateurs, mais acteurs. Mais voilà justement la raison qui nous empêche de les bien voir ! — De plus, ils sont infiniment plus diversifiés. Qui a vu un seul hanneton les a tous vus : mais qui a vu un seul ouvrier mineur n’a rien vu. À vrai dire l’observation des faits économiques et sociaux est une tâche qui dépasse infiniment les forces individuelles et qui ne saurait être que l’œuvre collective de milliers d’hommes réunissant leurs observations, ou des États employant à cet effet les puissants moyens d’investigation dont ils disposent[1]. C’est toute une science qui s’appelle la Statistique.

De plus, l’observation pure des faits n’aurait jamais donné dans les sciences naturelles le merveilleux résultat que nous admirons sans le secours d’un mode particulier d’observation pratiqué dans certaines conditions artificielles et qui s’appelle l’expérimentation. Or justement dans les sciences sociales l’expérimentation est d’un emploi très difficile, souvent impossible. Le chimiste, le physicien, le biologiste même (quoique pour ce dernier ce soit déjà plus difficile) peuvent toujours placer le fait qu’ils veulent étudier dans certaines conditions artificiellement déterminées et variables à volonté — par exemple, pour étudier le phénomène de la respiration d’un animal, le placer sous la cloche d’une machine pneumatique et faire varier à leur gré la pression de l’air. Mais l’économiste, fût-il même doublé d’un législateur ou d’un despote tout-puissant, n’a point cette faculté. Il est obligé d’étudier les faits tels qu’ils se présentent à lui, sans pouvoir les isoler de la trame des faits connexes dans laquelle ils se trouvent engagés. Nous ne pouvons pas mettre un pays sous cloche, et, en admettant même que ce fût en notre pouvoir, ce ne serait point encore assez pour nous permettre de con-

  1. Par exemple, le plus simple de tous les faits que puisse étudier les sciences sociales, c’est assurément le nombre de personnes qui composent une société. Cependant, n’est-il pas évident qu’un observateur isolé est dans l’impuissance absolue d’arriver à cette détermination ? Les administrations publiques peuvent seules entreprendre cette tâche, et encore n’est-ce que depuis bien peu de temps que les recensements officiels sont arrivés à un degré d’exactitude tolérable.