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Ce sont là, sans doute, des services réels, mais il faut voir aussi ce qu’ils coûtent. En effet, par suite de diverses causes, au premier rang desquelles on doit faire figurer le caractère peu pénible de la profession de marchand et l’attrait qu’elle exerce sur beaucoup de personnes, notamment en France, il s’est trouvé que le nombre de ces intermédiaires, surtout des commerçants au détail, des boutiquiers, est devenu tout à fait disproportionné avec les besoins. Cette multiplication des intermédiaires, en réduisant le débit de chacun, a eu pour résultat de grever chaque article de frais généraux proportionnellement énormes, et d’empêcher la baisse naturelle des prix, due aux progrès de la mécanique et au développement du commerce international, de se faire sentir dans le commerce de détail. Ces intermédiaires tendent à devenir de véritables parasites[1].

Si l’on ajoute à cet inconvénient déjà si grave, la falsifica-

  1. Ainsi on compte en France 106.101 épiciers, soit en moyenne 1 pour 90 familles, 52.957 boulangers et à peu près autant de bouchers, soit 1 pour 184 familles. Et si l’on ne prenait que tes villes, la proportion serait bien supérieure. En somme, plus de la dixième partie de la population française s’adonne au commerce sous différentes formes il y a là une proportion exorbitante c’est un véritable gaspillage que d’entretenir un intermédiaire pour dix personnes.
    Comp. l’article de M. Schwiedland sur Les prix de gros et les prix de détail (Revue d’Economie politique, 1890).
    Il n’est pas rare de voir un marchand prélever sur une pièce d’étoffe vendue un bénéfice supérieur au salaire touché par l’ouvrier qui l’a fabriquée, ce qui revient à dire que Je travail qui consiste à couper un coupon d’étoffe et à le livrer au client se trouve plus rémunéré que le travail qui a été consacré à la fabriquer.
    Si l’on pouvait chiffrer le tribut total qui est prélevé sur le public par les intermédiaires, on en serait épouvanté. D’après une enquête faite par la Compagnie du chemin de fer d’Orléans en 1866 sur les denrées qu’elle fournissait à ses employés, la différence entre le prix de revient et le prix de vente variait entre 30 % et 127 %. En prenant seulement le chiffre minimum de 30 % qui est certainement inférieur à la réalité, et en l’appliquant au total de la consommation de la France qui est au moins de 25 milliards, on voit que le tribut prélevé par les intermédiaires s’éléverait à 7 1/2 milliards, plus du double de ce que nous payons sous forme d’impôt ! Socialistes et économistes sont du reste unanimes pour dénoncer ce vice de notre organisation sociale. Voy. notamment Fourier qui dès 1822 a dénoncé et même prédit les abus de l’organisation économique avec une précision et une verve qui n’a pas été surpassée (Œuvres choisies de Fourier, édition Guillaumin).