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IV

SI L’ÉVOLUTION VERS LA GRANDE PRODUCTION EST FATALE ET SOUHAITABLE ?

La perspective qui s’offre à nous, si le mouvement que nous venons d’étudier devait aller en progressant, ce serait de voir disparaître peu à peu de la scène économique tous ceux qui travaillent pour leur propre compte, petits artisans, petits boutiquiers, petits propriétaires, tous producteurs autonomes, pour les voir reparaître sous la figure de commis, d’employés, c’est-à-dire de salariés travaillant pour le compte d’immenses entreprises dirigées par des capitalistes milliardaires ou par des sociétés anonymes.

Cette perspective sourit à beaucoup d’économistes et à tous les socialistes collectivistes. Ceux-ci surtout la déclarent inévitable et raillent ceux qui voudraient y mettre obstacle. Ils saluent avec joie chacune des étapes de cette évolution de la petite industrie vers la grande industrie, de la production individuelle vers la production collective, parce qu’ils y voient comme les jalons d’une route royale qui nous conduit directement au collectivisme.

D’ailleurs, ils professent un souverain mépris pour la petite, production, pour l’entreprise individuelle. « Ce régime, dit Karl Marx, exclut la concentration, la coopération sur une grande échelle, le machinisme, la domination savante de l’homme sur la nature, le concert et l’unité dans les fins, les moyens et les efforts de l’activité collective. Il n’est compatible qu’avec un état de la production et de la société étroitement borné. Perpétuer le régime de la production isolée, ce serait décréter la médiocrité en tout ».

Nous nous permettrons d’en appeler de ce jugement un peu sommaire. La médiocrité dans les conditions d’existence, aurea mediocritas, ne doit pas nous effrayer, et les anciens, aussi bons juges que nous en fait de bonheur, y avaient vu