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plaisaient à nous faire admirer « les harmonies » de cette organisation, non moins merveilleuse pour eux que celle que Pythagore entendait descendre des célestes sphères. Ils l’appelaient spontanée ou naturelle et en concluaient qu’elle est parfaite en son genre et définitive[1].

Cet enthousiasme s’est fort refroidi aujourd’hui. L’observation plus attentive des faits et la pratique de la liberté n’ont pas justifié cette foi optimiste. On a reconnu que la forme d’organisation actuelle n’est ni plus ni moins naturelle et spontanée que les formes d’organisation préexistantes, telles que celle des familles, des castes ou des corporations puisque celles là aussi étaient le résultat naturel de l’évolution historique. Et quant à ses effets bienfaisants, ils sont assez douteux, car on a reconnu au contraire :

1o Que la libre concurrence ne réalisait que très imparfaitement l’état d’équilibre cherché entre la production et la consommation et qu’au contraire les perturbations de cet équilibre, qu’on appelle les crises, tendaient à devenir de plus en plus fréquentes (Voir au chapitre suivant).

2o Qu’elle n’avait nullement pour effet de distribuer les

  1. Voy. la description, fort belle d’ailleurs, qu’en donne Bastiat dans ses Harmonies, au chap. de l’Organisation naturelle.
    Nous citerons, pour permettre d’apprécier à quel point les idées se sont modifiées, les termes dithyrambiques du premier Dictionnaire d’Économie politique, publié en 1852 sous la direction de MM. Coquelin et Guillaumin, au mot Concurrence : « Le principe de la concurrence est trop inhérent aux conditions premières de la vie sociale ; il est en même temps trop grand, trop élevé, trop saint, et dans son application générale, trop au-dessus des atteintes des pygmées qui le menacent pour qu’il soit nécessaire de le défendre. On ne défend pas le soleil quoiqu’il brûle quelquefois la terre il ne faut pas non plus défendre la concurrence qui est au monde industriel ce que le soleil est au monde physique ». Et Stuart Mill n’est pas moins catégorique « tout ce qui limite la concurrence est un mal, et tout ce qui l’étend un bien en définitive ». Principes, Liv. IV, ch. 7.
    De nos jours l’école mathématique (Voy. p. 21) a repris cette thèse et démontre qu’entre tous les modes d’organisation imaginables, le régime de libre-concurrence est précisément celui qui réalise pour chaque individu le maximum d’utilité finale (ou d’ophélimité). — C’est possible, mais comme elle déclare que cet état est purement hypothétique, sa démonstration ne réfute pas nos griefs contre l’ordre existant et d’ailleurs elle le reconnaît fort bien (Voy. les livres de Walras et de Pareto).