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commander le travail d’autrui et permit du même coup au possesseur de ce capital de se procurer un revenu sans travail personnel — du moins sans autre travail que celui qui consiste à surveiller l’emploi du capital et à en recueillir les fruits.

Voilà pourquoi les socialistes trouvent l’exemple de l’arc du sauvage ou du rabot de Robinson tout simplement idiot. Il est clair, en effet, que le sauvage ni Robinson n’auraient pu s’en faire « des rentes », donc ce n’était pas des capitaux. Ils raillent ce qu’on pourrait appeler la conception naturaliste du capital et la remplacent par la conception historique. Le capital n’est pour eux qu’une « catégorie historique » qui a apparu à son heure et disparaîtra de même.

Ce qui a établi une opposition violente entre ces deux théories, c’est qu’on a voulu en faire des machines de guerre, la première pour légitimer, et la seconde pour décrier le rôle du capital. Les uns disent : voyez quel serviteur utile puisque même un Robinson ne peut vivre sans lui ! Les autres : disent voyez quel tyran puisqu’il ne saurait vivre que du travail d’autrui ! — Mais ceci sont des considérations de finalité qui n’ont rien à faire ici et que nous retrouverons quand nous nous occuperons de la répartition des richesses. Le seul point que nous ayions à éclaircir pour le moment, c’est quelle est la véritable fonction du capital dans la production. Or c’est bien celle qu’ont indiquée les économistes.

Le fait qu’aucune richesse ne peut être produite sans le secours d’une autre richesse préexistante est un fait d’une importance énorme dont on ne saurait certes exagérer l’importance. Il ne s’agit pas ici d’une loi historique et contingente, mais d’une loi sociologique ayant tous les caractères d’une loi naturelle. Oui, de même que le feu ne peut être allumé, du moins dans les conditions ordinaires de la vie, sans une parcelle de matière en ignition (allumette, tison, briquet) — de même qu’un mélange explosif ne peut pas détonner sans être provoqué par le choc d’une parcelle explosive qui s’appelle l’amorce, — de même qu’un être vivant ne peut être produit sans la présence d’une certaine portion de