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qui le pousse à travailler et celui qui le pousse à s’arrêter, il est évident que le second finira tôt ou tard par remporter la victoire. Considérez un travailleur qui tire des seaux d’eau d’un puits. La fatigue augmente à chaque nouveau seau d’eau qu’il faut tirer ; d’autre part l’utilité de chaque seau diminue, car si le premier est indispensable pour l’alimentation, le second ne servira qu’à abreuver les bestiaux, le troisième à des soins de propreté, le quatrième à arroser le jardin, le cinquième à laver le pavé, etc. À quel chiffre s’arrêtera-t-il ? Cela dépend dans une certaine mesure de sa résistance à la fatigue, mais surtout de l’échelle de ses besoins. L’Esquimau qui ne voit d’autre utilité à l’eau que celle de se désaltérer, s’arrêtera au premier seau ou au deuxième, mais le Hollandais qui éprouve le besoin de laver jusqu’au toit de ses maisons, aura peut-être à en puiser cinquante avant de s’estimer suffisamment pourvu.

Si au stimulant des besoins présents et actuels vient se joindre le stimulant des besoins à venir, — si, par exemple, dans un pays où l’eau est rare, le travailleur songe à remplir une citerne pour les jours de sécheresse, — l’activité productrice peut se trouver singulièrement accrue. Mais cette faculté de mettre en balance une peine immédiate et une satisfaction lointaine, faculté qui de son vrai nom s’appelle la prévoyance, n’appartient qu’aux races civilisées et, parmi elles, aux classes aisées. Le sauvage et le pauvre sont également imprévoyants.


V

DU TEMPS CONSIDÉRÉ COMME ÉLÉMENT CONSTITUTIF DU TRAVAIL.

Si tout travail suppose une certaine peine, tout travail aussi implique une certaine durée.

Entre le moment où le travail commence et celui où il donnera les résultats qu’on en attend, il s’écoule toujours un temps plus ou moins long. C’est là une des conditions essen-