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IV

DE LA PEINE CONSIDÉRÉE COMME ÉLÉMENT CONSTITUTIF DU TRAVAIL.


Tout travail productif suppose une certaine peine. C’est là une loi d’une importance capitale en économie politique, Si le travail n’était pas une peine, on peut affirmer que tous les phénomènes économiques seraient autres qu’ils ne sont. Par exemple, si les hommes travaillaient par plaisir, il ne serait plus nécessaire de donner comme stimulant au travail l’appât de la propriété individuelle et la plus grave objection qu’on puisse faire au communisme tomberait.

Le socialiste Fourier l’a très bien compris : aussi avait-il donné pour pivot à la société future qu’il se proposait d’organiser le travail attrayant. Il déclarait que si le travail est pénible cela tient uniquement à une organisation vicieuse de nos sociétés modernes, et il se faisait fort, dans son phalanstère, de transformer le travail en plaisir par le libre choix des vocations, la variété des occupations, la brièveté des tâches, l’esprit de corps, l’émulation et mille autres combinaisons les unes ingénieuses, les autres fantasques, en un mot de faire du travail du laboureur, du forgeron, du charpentier, du cordonnier, etc., des variétés du sport[1].

Pourquoi pas ? dira-t-on peut-être. Le travail, en somme, n’est qu’une forme de l’activité humaine : or l’activité n’a en soi rien de pénible ; agir, c’est vivre ; c’est au contraire l’inaction absolue qui est un supplice, et si atroce que quand il est trop prolongé dans l’emprisonnement cellulaire, il tue le patient ou le rend fou. On ne voit aucune différence essentielle entre le travail et une foule d’exercices qui sont con-

  1. Voy. Fourier, Œuvres choisies, petite édition Guillaumin. Presque tous les socialistes et anarchistes aujourd’hui soutiennent la même thèse.