cette idée qu’elle qualifie de préjugé[1] que l’économie politique a révélé pour la première fois son existence. Elle venait à peine de naître et balbutiait encore avec Boisguillebert (1697) que déjà par sa bouche elle affirmait : « qu’il est très certain que l’argent n’est point un bien de lui-même et que la quantité ne fait rien pour l’opulence d’un pays ». Et depuis lui, il n’est pas d’économiste qui n’ait traité le numéraire avec un parfait dédain et n’ait affirmé que ce n’est qu’une marchandise comme toutes les autres, et même bien inférieure à toute autre, car par elle-même elle est incapable de satisfaire directement aucun besoin ou de nous procurer aucune jouissance, et c’est en conséquence la seule dont on puisse dire que son abondance ou sa rareté sont choses également indifférentes. S’il y a peu de pièces de monnaie dans un pays, chacune aura un pouvoir d’acquisition plus considérable ; s’il y en a beaucoup, chacune aura un pouvoir d’acquisition moindre (Voy. ci-dessus, p. 89). Que nous importe !
Ces deux opinions, si contradictoires qu’elles paraissent, se concilient très bien. Le public a raison au point de vue individuel, le seul qui l’intéresse ; les économistes ont raison en faisant abstraction des individus. Voici l’explication :
Toute pièce de monnaie doit être considérée comme un bon portant sur l’ensemble des richesses existantes et donnant droit au porteur de se faire délivrer une portion quelconque de ces richesses à son choix, jusqu’à concurrence de la valeur indiquée sur sa pièce[2].
- ↑ M. Novicow, dans son livre Les gaspillages des sociétés modernes, l’appelle « l’illusion crysohédonique » (du grec χρυσός or, et ἡδονή jouissance).
- ↑ Un bon qui présente cette supériorité sur les titres de crédit de porter son gage avec lui ; il est garanti en effet, du moins en partie, par la valeur du métal que contient la pièce. « Si vous savez lire avec les yeux de l’esprit les inscriptions dont un écu est chargé, vous déchiffrerez distinctement ces mots : Rendez au porteur un service équivalent à celui qu’il a rendu à la Société, valeur constatée, prouvée et mesurée par celle qui est en moi-même » (Bastiat, Maudit argent). Faisons toutefois certaines réserves sur le postulat optimiste que toute pièce de monnaie représenterait un service rendu.