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que la connaissance que j’ai de la peinture me permettait d’avoir à très bas prix. — Durant quinze ans je thésaurisai comme un avare ; je m’enrichis de toutes mes forces ; je m’instruisis ; j’appris les langues épuisées et pus lire dans beaucoup de livres ; j’appris à jouer de divers instruments ; chaque heure de chaque journée était donnée à quelque étude fructueuse ; l’histoire et la biologie m’occupèrent particulièrement. Je connus les littératures. J’accumulai les amitiés que mon grand cœur et ma légitime noblesse me permirent de ne pas dérober ; elles me furent, plus que tout le reste, précieuses, et pourtant, même à elles, je ne m’attachai point.

À quarante ans, l’heure étant venue, je vendis tout, et comme mon goût sûr et ma connaissance de chaque objet ne m’avait fait possesseur de rien dont la valeur n’eût augmenté, je réalisai en deux jours, une fortune considérable. Je plaçai cette fortune toute entière de façon que j’en pusse perpétuellement disposer. — Je vendis absolument tout, ne voulant rien garder de personnel sur cette terre, — pas le moindre souvenir d’antan.

Je disais à Myrtil, qui m’accompagnait dans les champs : — « Combien de ce matin délicieux,