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et sur les hêtraies s’éveiller les corneilles. Au matin je me lavais dans l’herbe et le soleil naissant séchait mes vêtements mouillés. — Qui dira si jamais la campagne fut plus belle, que ce jour où je vis les riches moissons rentrer parmi les chants, et les bœufs attelés aux pesantes charrettes ! —

Il y eut un temps où ma joie devint si grande, que je la voulus communiquer, — enseigner à quelqu’un ce qui dans moi la faisait vivre.

Les soirs, je regardais dans d’inconnus villages les foyers, dispersés au jour, se reformer. — Le père rentrait, las de travail ; les enfants revenaient de l’école. La porte de la maison s’entr’ouvrait un instant sur un accueil de lumière, de chaleur et de rire, et puis se refermait pour la nuit. Rien de toutes les choses vagabondes n’y pouvait plus rentrer, du vent grelottant du dehors. — Familles ! je vous hais ! foyers clos ; portes refermées ; possessions jalouses du bonheur. — Parfois, invisible de nuit, je suis resté, penché vers une vitre, à longtemps regarder la coutume d’une maison. Le père était là, près de la lampe ; la mère cousait ; la place d’un aïeul restait vide ; un enfant, près du père, travaillait ; — et mon cœur