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À bord.

… Que de nuits, ah ! vitre ronde de ma cabine, hublot fermé, — que de nuits j’ai regardé vers toi de ma couchette en me disant : Voici, quand cet œil blanchira, ce sera l’aube ; alors je me lèverai et je secouerai mon malaise ; et l’aube lavera la mer ; et nous aborderons à la terre inconnue. — L’aube est venue sans que la mer en soit calmée, la terre était encore lointaine et sur la face mobile des eaux chancelait toute ma pensée.

Le malaise des flots dont toute la chair se souvient. — Accrocherai-je une pensée à cette hune vacillante ? pensai-je. Lames, ne verrai-je que l’eau s’éparpiller au vent du soir ? — Je sème mon amour sur la vague ; ma pensée sur la stérile plaine des flots. — Mon amour plonge dans les flots, qui se suivent et se ressemblent. Ils passent et l’œil ne les reconnaît plus. — Mer informe et toujours agitée ; loin des hommes, tes flots se taisent ; rien ne s’oppose à leur fluidité ; mais nul ne peut entendre leur silence ; sur la plus frêle chaloupe, déjà se heurtent-ils, et leur bruit nous fait croire que la tempête en est bruyante. Les grandes